Chronique

Sunna Gunnlaugs

Distilled

Sunna Gunnlaugs (p), Þorgrímur Jónsson (b), Scott McLemore (dms)

Label / Distribution : Sunny Sky Records

Tout en se gardant de tout cliché, on peut percevoir dans le jeu mélodique et délicat de la pianiste Sunna Gunnlaugs la bipolarité de ses influences musicales. D’un côté, un sens de l’espace dont sont souvent dotés les musiciens familiers des lieux dépeuplés (elle a grandi et habite à nouveau en Islande) et de l’autre, des accointances avec le vocabulaire du jazz moderne d’outre-Atlantique, dont son jeu s’est nourri au fil des écoutes passionnées ou des nombreuses rencontres qui ont jalonné ses années à New York. Elle forme avec le contrebassiste Þorgrímur Jónsson et le batteur Scott McLemore un trio dont Distilled est le deuxième album, deux ans après Long Pair Bond, qui avait déjà retenu notre attention.

Il se dégage de cet enregistrement une simplicité que maints musiciens fuient, par goût du risque et de l’aventure ou par peur d’être noyés dans la masse pléthorique de trios piano/basse/batterie. Sunna Gunnlaugs reste pour sa part fidèle à la formule qui fait la part belle aux mélodies et mélodismes, privilégiant à travers l’interaction la mise en place de chants croisés, ce qu’elle fait magnifiquement avec l’excellent Jónsson. Leurs échanges sont placés sous le signe de la sobriété, et c’est avec une pudeur assumée, une nécessaire fragilité, que McLemore y appose ses rythmes phrasés. L’influence de Paul Motian est importante dans son jeu, mais aussi au niveau de l’écriture : une des deux compositions qu’il signe, « Switcheroo », en rappelle la plastique. L’ombre de Motian (dont le très beau « From Time To Time » est également repris ici) planant tout au long de Distilled, on ne peut s’empêcher de penser aux trios auxquels il a participé, notamment ceux de Bill Evans ou de Keith Jarrett, pour la musicalité qui se dégage à chaque instant plus que pour le jeu de piano à proprement parler ; celui de Gunnlaugs est épuré et très marqué par le blues.

Hormis le morceau de Motian, le trio s’est partagé le travail de composition, et l’on distingue au fil des plages les trois styles qui se dessinent et font écho au jeu de chacun. Gunnlaugs privilégie les ballades, les thèmes chantants, les rythmes alanguis de fin d’été ; McLemore apporte une angularité qui forme un contraste agréable avec les phrases tout en courbes de la pianiste, et Jónsson crée des ambiances hypnotiques rappelant parfois ses intentions de soliste. Le contrebassiste est en outre l’auteur de « Gallop », le morceau le plus rythmé de l’album, qui est un modèle de jeu à trois. Quant à Sunna Gunnlaugs, elle assure une continuité à son œuvre via deux miniatures improvisées, « Spin 6 » et « Spin 7 », qui font suite à son album The Dream en quartet avec Loren Stillman, Eivind Opsvik et McLemore. Dans la répartition des morceaux comme dans l’occupation de l’espace sonore, les trois musiciens se complètent parfaitement et la musique née de leurs talents conjugués mérite d’être distinguée pour deux bonnes raisons : elle est simple et belle.