Chronique

Armel Dupas

Upriver

Armel Dupas (p) + Chloé Cailleton (voc), Lisa Cat-Berro (as), Mathieu Penot (arr, elec)

Label / Distribution : Jazz Village

Upriver est le premier disque qu’Armel Dupas sort sous son nom, après nous avoir ouvert la porte de son univers en compagnie de Corentin Rio sur Inner Island, le disque remarqué de leur duo Waterbabies. Le présent disque s’inscrit dans sa continuité puisqu’on y retrouve l’attachement du pianiste aux mélodies évoquant des images, ainsi qu’un recours, quoique moins prégnant ici qu’avec le duo, à l’électronique. Les 11 pièces relativement concises qui composent cet album sont à la fois un manifeste de l’esthétique du pianiste, de son univers mélodique serein, et un tour d’horizon de ce qui le nourrit, du jazz à la musique classique en passant par la chanson, la musique de sa région natale (la Bretagne), et la musique destinée à porter des images.

Pour l’heure, Dupas n’est pas un musicien omniprésent, mais sa participation au sextet Sky Dancers d’Henri Texier favorise sa mise en lumière. Il y amène une réelle valeur ajoutée par la limpidité de son phrasé, la clarté de son propos et la diversité des couleurs qu’il développe. Tant mieux si cette expérience amène les gens à se pencher sur ses propres projets, et notamment sur ce disque qui, pour bien des raisons, mérite qu’on lui accorde du temps.
En premier lieu parce que les compositions se révèlent très belles, avec des thèmes mélodiques et élégants, des développements paisibles et des mises en forme originales. Mais aussi parce que, l’air de rien, le jeu du pianiste est à l’origine de nombreux moments de grâce. Les doigts courent sans empressement, les lignes s’envolent. Et l’adjonction de traitements électroniques met tout cela en relief. D’un titre à l’autre leur utilisation est plus ou moins importante, inexistante parfois, laissant le lyrisme du pianiste s’exprimer à plein dans sa solitude. Cette épure sied à des morceaux délicats comme « Petite Bretonne », « Her Secret Love » ou l’inaugural « Les plaines de Mazerolles » où Dupas évoque avec poésie et sensibilité un lieu où l’on imagine qu’il a des racines. Parfois, ce sont les traitements qui régissent les morceaux, comme sur « Sometimes I Need Some Time », un titre où l’on remarque particulièrement le travail d’arrangement de Mathieu Penot, qui englobe le discours du pianiste, le digère et le reconstruit.

Armel Dupas ne cherche pas forcément à fondre et compacter ses amours musicales. Il aime la chanson et choisit d’en offrir une, brute, simple et minimale, à sa complice Chloé Cailleton. Il aime les paysages sonores et intègre à son album, comme une jolie respiration, un « Epilogue » sans mélodie signé par l’arrangeur. Il aime conjuguer la musique au mouvement et nous gratifie d’un superbe « Le réveil de l’ingénu », où l’équilibre idéal semble trouvé entre la pureté de son piano et la pertinence de la mise en son, faisant de cette pièce cinématique une raison suffisante pour se procurer Upriver. Loin de réduire sa promenade à une seule destination, le pianiste nous permet d’arpenter avec lui des sentiers qui, s’ils débouchent sur des paysages différents, nous permettent de cartographier son petit monde intime. Ce que l’on fait avec beaucoup de plaisir, en songeant à toutes les possibilités d’évasion qu’offrent ces portes ouvertes.