Ennio Morricone, Bruno Angelini l’accueille plus qu’il ne l’interprète. La musique du compositeur italien fait certes office de fil conducteur, mais elle est souvent dissimulée dans le discours très personnel du pianiste. L’objet de ce répertoire n’est pas, justement, de proposer une relecture des bandes originales des films de Sergio Leone, mais plutôt de s’appuyer dessus pour proposer une lecture des films en question. Ainsi les noms des thèmes ne sont pas cités et le disque se décompose en deux grandes parties : sept plages non nommées pour Giù la testa (Il était une fois la révolution), et sept autres pour Il buono, il brutto, il cattivo (Le bon, la brute et le truand).
Durant chacune de ces parties, ce sont les impressions du musicien par rapport au cinéma de Leone, dans lequel la musique de Morricone joue un rôle fondamental, qui sont relatées. Exit donc, les clairons de cavalerie, les guitares fièrement électrifiées et les rythmes évoquant le galop des chevaux. Exit l’angoisse mystérieuse que faisaient naître les grands espaces poussiéreux, les cavaliers énigmatiques ou la violence, toutes notions si bien incarnées par Edda Dell’Orso chez Morricone. Le pianiste n’occulte pas ces éléments fondamentaux de l’art du cinéaste Italien, mais son regard se porte ailleurs. Il y a ce que la caméra filme, mais aussi ce qui est hors-champ, comme les contextes historiques des deux films traités, ou les personnages et les relations qu’ils entretiennent, qui ne se résument pas à quelques regards perçants et quelques coups de feu. En face de la profusion d’instruments de la bande originale, Angelini utilise un éventail de matériel inhabituellement étendu pour lui. Son piano se dédouble, il enregistre des séquences au Fender Rhodes qu’il fait tourner en boucle. Sur son piano, il dispose cloches et grelots. Ses ajouts sont aussi discrets que ceux de Morricone extravagants. En utilisant ces instruments additionnels dans des épisodes atmosphériques et en délivrant d’intenses envolées au piano seul, il prend nos références à contre-pied.
Leone Alone peut être vu comme une antithèse, une lecture opposée aux lieux communs concernant le cinéma du réalisateur italien. Tout ici n’est que délicatesse, gravité et retenue. Aussi surprenante soit-elle, cette vision est loin d’être incongrue. En effet, la virilité du cinéma de Leone est en grande partie due à la musique de Morricone, qui a su insuffler aux films une dimension épique ou dramatique. Mais si l’on s’attache à l’image, l’œil du réalisateur s’attarde sur l’espace, l’attente, l’ellipse. Sur les regards échangés et les non-dits. C’est donc bien l’image, les personnages et leurs vies que le pianiste met en musique, de manière introspective. Il prend le temps de créer des ambiances pour en faire échapper, presque par évaporation, thèmes et développements mélodiques. Non-contentes de représenter un bel hommage aux lenteurs affectionnées par le réalisateur, ces plages magnifiques en révèlent l’indispensable féminité.