Scènes

David Venitucci Trio à L’Improviste

Il était excitant, en ce 4 octobre 2012, de savoir qu’allait jouer pour la première fois un trio à l’instrumentation à notre connaissance inédite, d’autant qu’on suit avec intérêt le parcours des trois musiciens en question.


Il était excitant, en ce 4 octobre 2012, confortablement installé dans un fauteuil-club au pied de la scène de la Péniche l’Improviste, de savoir qu’allait jouer pour la première fois un trio à l’instrumentation inédite, du moins à notre connaissance. D’autant que les trois musiciens en question sont parmi ceux dont on suit le parcours avec intérêt, tant pour la qualité de leurs réalisations personnelles que pour le talent qu’ils mettent au service de leurs pairs. Intriguant, aussi, car on imagine sans bien savoir à quoi s’attendre. Pour être tout à fait honnête, on en a une petite idée quand même car on a eu la primeur, il y a quelques mois, d’une maquette enregistrée en répétition et sur laquelle on n’aurait pas tari d’éloges si on avait pu en parler dans le cadre d’une diffusion officielle. Cela dit, quatre titres sur disque et deux sets de concert, ce n’est pas la même histoire…

David Venitucci Photo H. Collon/Objectif Jazz

Le trio partage donc pour la première fois le fruit de son travail. On retrouve toutes les qualités du petit enregistrement informel, avec en prime la fraîcheur du live, et tout le talent de musiciens habitués à travailler sans filet. Nous voici brinquebalés entre les influences diverses, les énergies déployées et les émotions changeantes. Quelques notes qui pourraient être échappées d’un tango deviennent motif rythmique, et autour d’elles se forment des lignes en provenance de l’autre Amérique. On est emporté par un tourbillon de swing, puis tout à coup la danse devient songe. On s’abandonne à une rêverie, on se laisse glisser le long d’une courbe de trombone, et c’est tout en relance que les deux autres emmènent la musique ailleurs. C’est peut-être ce terme, d’ailleurs, qui définit le mieux la proposition musicale de David Venitucci. Ailleurs. Là où disparaissent les kilomètres séparant Paris, Buenos Aires et New York. Là ou le tango est cool et où le jazz prend des accents de titi. Là où les mailloches d’un batteur peuvent bâtir des « Cathédrales », où les musiciens marchent sur un fil, « En équilibre » au-dessus d’un vide accueillant, là où trois rêveurs peuvent se balader, « Le nez en l’air », presque imperceptiblement soumis aux contraintes d’une écriture pourtant précise.

De son accordéon, David Venitucci tire de la main gauche des motifs aux dynamiques accentuées tandis que l’autre main se répand en phrases rapides et mélodiques. Graves et aigus se mêlent dans une nacre harmonique et, dans leur éclatement comme dans leur fusion, les notes sont sculptées par le vent ; leur durée n’est plus soumise à la résonance mais confiée au bon vouloir du musicien. D’où, entre l’émotion du souffle, la « bicéphalie » organisée, la gamme de textures, une étonnante liberté de ton. Le trombone aérien de Denis Leloup est souvent à l’origine de lignes claires qui s’appuient sur le jeu de Venitucci ou en exploitent les aspérités. Inattendue, la rencontre des deux instruments est une réussite, tant en termes d’alliage de timbres que de complémentarité narrative. Leurs chants s’éloignent et se croisent, se suivent, se complètent ou se narguent, se cherchent et s’organisent en un subtil ballet. La batterie de Christophe Marguet, qui privilégie dans cette formation intimiste l’utilisation des balais, porte du rythme mais aussi des espaces, en alternant les parties rythmiques et paysagistes avec un égal sens de la mise en perspective.

Pour un premier concert, ce beau trio fait preuve d’une étonnante maturité. Et si les artistes considèrent qu’ils peuvent encore solidifier leur empathie, le spectateur sous le charme se réjouit d’apprendre qu’il a d’autres dates prévues ainsi qu’un projet d’album, nouvelles étapes d’une aventure passionnante dont on ne manquera pas de suivre le déroulement.