Chronique

Levitation Orchestra

Illusions & Realities

Label / Distribution : Gearbox Records

Pour quiconque avait entendu Inexpressible Infinity, le premier album du jeune et prometteur orchestre britannique Levitation Orchestra, la surprise qui nous accueille avec « Life is Suffering » est de taille. On retrouve certes la harpe de Maria Osuchowska, qui devient même centrale, comme définitivement rangée sous l’étoile céleste d’Alice Coltrane, mais l’esthétique paraît dans un premier temps différente ; plus de cordes, davantage de soul, Illusion & Realities s’inscrit dans une musique urbaine de son temps, retombant sur Terre après avoir plané dans des limbes alcalins. La raison en est tout d’abord la place prépondérante de l’incroyable Plumm. La jeune galloise qu’on sait devoir suivre depuis longtemps, vocaliste à l’instrument-voix fardé de dispositifs et de boucles électroniques, emmène le grand format vers la chanson tout en gardant en tête que les treize musiciens ne savent pas trop tenir en place.

Dirigé par le trompettiste Axel Kaner-Lidstrom, mais surtout produit par David Holmes, sorcier irlandais, compositeur pour le cinéma très marqué par le jazz des années 70 ou des figures inclassables comme David Axelrod, le Levitation Orchestra n’est donc jamais là où on l’attend. En témoigne, après quelques incursions très produites de Plumm dans une musique faussement sirupeuse, le tonitruant « Listen to Her » où se croisent diverses influences et impensés qui vont de Sun Ra au Mahavishnu Orchestra, sans que ce soit jamais lourdingue ou confit dans la survivance et l’hommage. Illusion & Realities ne tombe pas dans le piège du scrapbook pour nostalgiques ; certes, la pochette surréaliste, colorée comme un album de prog-rock électrique perdu dans une solderie de Canterbury, pourrait nous indiquer l’inverse. Mais le spoken word soudain, diablement anglais de Dilara Aydin-Corbett, l’autre chanteuse de l’album, nous remet dans le bon sens. L’album est certes une orgie de production et de cordes réglées par le violoncelle d’Emma Barnaby, à commencer par « Delusion », taillé pour les playlists de la sono mondiale, mais ça ne s’arrête pas là. Avec une telle vigueur et une telle gourmandise, il faut s’attendre à différents niveaux de lecture.

Les quatre parties de « Child », pièce centrale d’une œuvre qui a décidé de s’installer au carrefour des influences et des envies, est sans doute la clé. Le guitariste Paris Charles lance un morceau qui revient aux couleurs du précédent album sans pour autant abandonner les performances vocales de Plumm. Le batteur Barry Ling, toujours très pertinent dans ses choix, travaille à merveille la pâte orchestrale faite de cordes et enrobée par la flûte de Lluis Domenech Plana. L’orchestre, collectivement, va tutoyer des timbres et des couleurs que l’on a coutume d’entendre dans des productions plus urbaines, comme celles de RZA quand il compose pour le cinéma. La dimension cinématographique est centrale, voire organique dans cette jeune bande de musiciens qui gravitent par ailleurs dans les musiques urbaines londoniennes, de la Drill à la Trap. On l’a vu récemment avec Beats and Pieces, le grand format britannique se porte plutôt bien, dans un paradigme assez différent de ce que nous connaissons de l’autre côté de la Manche. Illusions & Realities est un disque important.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 janvier 2022
P.-S. :

Axel Kaner-Lidstrom (tp, dir), Plumm, Dilara Aydin-Corbett (voc), Lluis Domenech Plana (fl), James Akers (ts), Ayodeji Ijishakin (ts, cla), Saskia Horton, Beatriz Rola (vln), Emma Barnaby (cello), Maria Osuchowska (hp), Paris Charles (g), Hamish Nockles-Moore (b), Harry Ling (dms)