Chronique

Sylvie Courvoisier/Mark Feldman Quartet

Birdies For Lulu

Sylvie Courvoisier (p), Mark Feldman (vln), Scott Colley (b), Billy Mintz (dm)

Label / Distribution : Intakt Records

Un simple coup d’oeil au personnel permet de constater que la paire Courvoisier/Feldman est encore en train d’évoluer, de bouger, de se situer sur des territoires où on ne les attendait pas obligatoirement. Former un quartet avec deux instrumentistes fortement connotés « jazzmen », c’est plus qu’un geste, c’est un acte. Même si - ironie du rapport entre les mots et les choses - l’intégrité des uns et des autres reste, évidemment, intacte. Comme un label qui ne bougerait pas.

Ces oiseaux pour Lulu - le nom du chat de Sylvie et Mark - se goûtent d’entrée avec la première partie d’une suite dédiée à un ami linguiste décédé (Yves Ramseier), une minute et quarante cinq secondes étonnantes, une pièce en forme de poursuite haletante qui pourrait très bien fonctionner comme indicatif d’une série policière dans la grande tradition des musiques hollywoodiennes. Le ton est donné. Car la suite de ces « Cards For Capitaine » montre trois choses : d’une part, que la pianiste et le violoniste ne renoncent en rien à leur manière habituelle d’écrire, ou de faire sonner leurs instruments ; d’autre part, que Scott Colley et Billy Mintz (un nouveau venu d’âge mûr, paraît-il) apportent sans réserve la dimension purement « jazz » de leur jeu, et enfin que la rencontre s’opère sans le moindre heurt, comme si cela allait de soi. Et cela va, en effet. La troisième partie de la suite, en particulier, touche au plus près, avec une tendre évocation de la musique indienne et ces effets d’auto-harp dont Sylvie est devenue coutumière. Le dernier morceau du disque est une « coda » pour ce « Capitaine », émue mais sans pathos. Le dédicataire était un spécialiste du sanscrit.

C’est Billy Mintz qui a apporté « Shmear », avec son introduction en tempo ultra-rapide suivi d’une sorte d’intermède pianistique « alla Schubert » et d’un moment de suspens improvisé. Cadence du violon, puis relance de l’infernal tempo. « Natarajasana » offre par contraste un calme méditatif, énoncé au piano avant que les autres instruments viennent contribuer à cet épisode apaisé. Les grands écarts mélodiques de « Downward Dog » offrent aussi de beaux espaces à Scott Colley, et Sylvie Courvoisier s’y affirme comme une pianiste de jazz fort sensible. « Birdies For Lulu » revient davantage sur les chemins déjà empruntés par le couple, avec des effets d’imitation amusants (oiseau, chat), puis l’on s’achemine vers un « Travesuras » aux aspects latins, avant la très émouvante « Coda » déjà évoquée.

Cette très belle session montre bien que le fossé entre « musiques improvisées » et jazz n’est pas aussi profond qu’on l’imagine. Car sans rien changer à leur façon de concevoir l’écriture et le jeu instrumental, Mark Feldman et Sylvie Courvoisier ont pu s’adjoindre deux authentiques et réputés jazzmen sans la moindre rupture dans la continuité. Cette unité, en tous cas cette volonté d’unité, doit être relevée et encouragée. Elle produit ici une musique passionnante, vive, et astucieusement rebondissante.