Scènes

Catalytic Sound Festival – Chicago

Des improvisateurs plus ou moins connus ont contribué au succès de ce festival hors du commun.


Ballister @ M.A.

Pour conclure l’année en beauté, le collectif international de musiciens Catalytic Sound a présenté la troisième édition de son festival, la deuxième en présentiel, qui propose plusieurs versions dans différentes villes du monde entier. L’étape prévue à Chicago s’est déroulée du 1er au 3 décembre à l’Elastic Arts Foundation.

Cette année, les trois soirées de concerts ont permis de revoir les habitués tels que les saxophonistes Ken Vandermark, Joe McPhee et Dave Rempis, les batteurs Paal Nilssen-Love et Tim Daisy ou le violoniste Mark Feldman, et de découvrir la génération montante avec les saxophonistes Isaiah Collier et Sarah Clausen, la violoncelliste Lia Kohl, les contrebassistes Nick Macri et Luke Stewart, la tubiste Beth McDonald ou les batteurs Lily Finnegan et Ben Hall.

Le premier soir, la saxophoniste alto Sarah Clausen doit remplacer au pied levé la pianiste Mabel Kwan, indisposée. Sa prestation repose dans une large mesure sur l’utilisation de l’électronique (looper), la musicienne ne cessant de manipuler et de superposer les sons et bribes de mélodies qu’elle produit sur son instrument. En résulte un climat inquiétant et troublant, semblable à ce que pourrait produire un John Surman dystopique. À mi-chemin, elle inverse le processus et réagit aux sons renvoyés par son appareil. Elle conclut sa prestation à force d’échos et de réverbe comme si elle essayait d’entrer en contact avec l’au-delà ou des forces surnaturelles. Fascinant et envoûtant.

Sarah Clausen @ M.A.

La deuxième soirée débute avec de l’inédit : Ken Vandermark dévoile un nouveau projet qui ne porte pas encore de nom (cela ne saurait tarder). Il réunit Beth McDonald au tuba, Katinka Kleijn au violoncelle, Nick Macri à la contrebasse et à la basse électrique et Lily Finnegan à la batterie. Le set est divisé en deux parties protéiformes, chacune d’entre elles composée de plusieurs compositions qui s’imbriquent les unes dans les autres. Différentes traditions jazzistiques s’entrechoquent avec une belle énergie. D’autres genres font également irruption, ce qui révèle l’intérêt que Vandermark porte depuis longtemps au funk, notamment celui de Parliament ou de Funkadelic. Le groupe est porté par Macri et Finnegan – c’est dans les rythmes issus du rock que la batteuse se sent le plus à l’aise. McDonald et Kleijn, quant à elles, sont le plus souvent cantonnées à des seconds rôles apportant des accents et ponctuations, car Vandermark est de fait le seul véritable soliste, tour à tour enjoué ou percutant mais ne perdant jamais de vue la mélodie ou le groove.

Lily Finnegan, Nick Macri et Ken Vandermark @ M.A.

Pour conclure la soirée, un groupe très attendu : Ballister, le trio fulgurant formé de Dave Rempis aux saxophones alto, ténor et baryton, Fred Lonberg-Holm au violoncelle et Paal Nilssen-Love à la batterie. Le groupe est un véritable rouleau compresseur. On entre immédiatement dans le vif du sujet sans round d’observation. Rempis s’affirme en véritable leader. En mode exploratoire à l’alto, impressionnant au baryton, il fait preuve d’une agilité déconcertante.

Le dernier soir, nous avons droit au « duo » des violoncellistes Katinka Kleijn et Lia Kohl pour ce qui sera sans doute une autre bonne surprise de ce festival. Si leur performance n’est peut-être pas la plus aboutie musicalement, elle marque les esprits par sa théâtralité et ses aspects burlesques. D’entrée, la présence d’un seul instrument rend dubitatif, puis tout devient clair lorsque Kohl se glisse derrière Kleijn et que toutes deux jouent du violoncelle à quatre mains. Cela gratte, grésille, grince dans tous les sens. Les tableaux insolites se succèdent. Trois archets se disputent le droit de frotter les cordes. Le comble revient à Kleijn qui, munie de son archet et d’un microphone de contact, frotte des mèches de cheveux de Kohl – pour un effet plus drôle qu’efficace.

Katinka Kleijn et Lia Kohl @ M.A.

On termine ce festival avec le nouveau quartet du trompettiste Russ Johnson qui inclut le violoniste Mark Feldman, le contrebassiste Ethan Philion et le batteur Tim Daisy. Le groupe s’est déjà produit à quelques reprises et une évolution est déjà perceptible. Les compositions et les mélodies sont de plus en plus en filigrane, l’improvisation prenant le pas. Daisy crée des diversions (en particulier un climat enchanteur qu’il crée à l’aide de cymbales miniatures), Feldman décortique les mélodies, Philion pousse chacun à donner son meilleur, et Johnson dirige le tout d’une main de maître. La musique est tantôt enjouée, tantôt mélancolique jouant avec l’épure, le contrepoint et le call-and-response. Une formation à suivre.