Chronique

Tam de Villiers Quartet

Alba Lux

Tam de Villiers (el g), David Prez (ts), Bruno Schorp (cb), Karl Jannuska (dr)

Label / Distribution : Yes Or No Prod

Français d’adoption depuis cinq ans, Tam-Lynn de Villiers, d’origine britannique, a appris la musique très jeune avec Tommy Smith en Ecosse puis à Leeds, dans le nord de l’Angleterre. En 2003, il s’installe en France, poursuit ses études au Conservatoire de Montreuil et joue avec Marc Ducret (qui ne tarit pas d’éloges sur son ancien élève), Fabrizio Cassol et Stéphane Payen. Il forme ensuite son quartet avec David Prez, le formidable batteur Karl Jannuska et le contrebassiste Bruno Schorp, qui a attiré l’attention avec son Colors Sextet l’an dernier (Lauréat du Concours de la Défense 2008 et des Trophées du Sunside 2008).

Inattendu, Tam de Villiers dégage un groove stimulant - non pas de ceux qui s’annoncent trois ou quatre mesures à l’avance, mais de l’espèce qui porte la marque unique de son auteur, et c’est rare. Chez de Villiers il est retenu, solennel. Il reflète la hauteur de la composition ; à peine perceptible au départ, il fait frissonner au bout de quelques secondes, un peu fantaisiste mais bien amené, impromptu comme un petit poème. Ici la guitare parle d’elle même ! Et elle parle bien, la guitare de Tam de Villiers !

Dans le monde du jazz, les guitaristes sortant de l’ordinaire se comptent sur les doigts de la main gauche de Django. Comme les saxophonistes allez-vous me dire… Pas tout à fait, car l’instrument a été réinventé dans tous les styles musicaux. Et Tam de Villiers a développé un style et un son immédiatement reconnaissables. Avec un subtil dosage d’effets, il a trouvé une petite lumière qu’il ravive tout au long de l’album. Influencé par les guitaristes qui font l’actualité (Ducret, Kurt Rosenwinkel et surtout Ben Monder), il ne peut pas renier l’aura des McLaughlin et autres Hendrix. Mais ce quasi-trentenaire rappelle aussi le Clapton de Cream (il chorusse facilement dans les graves, comme lui). Avec un tel héritage, il explose sur ce premier album par un jeu équilibré et solide, un phrasé ouvert, sans fioriture, sans émotion rajoutée, et donne une envergure rock à ses compositions jazz.

Pour David Prez, habitué des guitaristes - il accompagne Sandro Zerafa avec Olivier Zanot et est co-leader avec Romain Pilon - l’enjeu est de se renouveler. On le découvre donc ici sous un jour différent. Incisif, mélodieux, nécessairement plus groovy, il a tout compris. Avec trois collaborations guitaristiques et en ajoutant sa participation au Talkin’ About Trio de Matthieu Marthouret, Prez se révèle un accompagnateur créatif qui sait se mettre au service de ses acolytes. Comme toujours, Jannuska démontre qu’il est un grand musicien, ce qu’on ne répètera jamais assez. L’association avec Schorp augure de beaux horizons musicaux.

Les compositions sont toutes signées Tam de Villiers. Habiles, subtiles, variées, elles expliquent sans doute l’enthousiasme des musiciens. « Infinity Fragment, » par exemple, est un free blues à sonorité spatiale (due au saxophoniste) auquel De Villiers apporte densité et flamboyance. « Lexicon » offre une envolée guitare/sax exubérante et délicieusement décalée. Enfin sur « Ersatz Ego », le saxophoniste utilise des effets wah-wah (c’était déjà le cas avec Marthouret) qui forment un contrepoint dans la texture de la première partie, solide et bien ancrée dans un jazz mainstream très groovy. Schorp nous tire de cette confortable torpeur par un riff diabolique et amène, dans la seconde partie, un thème excitant et une chute oscillante interprétée par une guitare plus rugueuse et un sax au son moqueur.

Écoute après écoute, Alba Lux se révèle un album passionnant sur lequel on pourrait disserter indéfiniment tant il y aurait à dire. Le mieux est de l’écouter et d’y prendre plaisir. Et de suivre de près le parcours de Tam de Villiers.