Scènes

Trois scènes lorraines…

Alors que le menu de la prochaine édition du Nancy Jazz Pulsations, qui se déroulera du 6 au 16 octobre 2010, est largement composé, soulignons qu’il existe en Lorraine une vie pour la musique le reste de l’année. Retour sur trois instants – parmi bien d’autres – différents, mais complémentaires.


Alors que le menu de la prochaine édition du Nancy Jazz Pulsations, qui se déroulera du 6 au 16 octobre 2010, est largement composé, soulignons qu’il existe en Lorraine une vie pour la musique le reste de l’année.
Retour sur trois instants – parmi bien d’autres – très différents, mais complémentaires.

Los Hombres – Le Quai Son, Nancy – Lundi 3 mai 2010

Il faudra que Citizen Jazz revienne prochainement sur cette animation hebdomadaire que sont les lundis de l’IMA [1] et sur l’implication de Jean-Marie Viguier, figure presque historique de la musique en Lorraine [2], tant dans leur organisation que dans leur réalisation au Quai Son, à quelques pas de la gare de Nancy.

Jean-Marie Viguier © Jacky Joannès

Au début du mois de mai 2010, le guitariste a réuni sous la dénomination éphémère de Los Hombres trois de ses plus vieux complices, qui ont en commun d’avoir parcouru depuis vingt ans un chemin remarquable. Jugez-en : Pierre-Alain Goualch (Fender Rhodes), Diego Imbert (basse électrique) et Franck Agulhon (batterie). Ces trois-là donnent l’impression de ne s’être jamais quittés - ce qui correspond finalement à la réalité - et de retrouver Jean-Marie l’ancien avec le plus naturel des sourires. Car on est entre amis, et l’atmosphère détendue qui règne entre les musiciens compte pour beaucoup dans la réussite de ce court concert.

Ensemble, dans la petite salle bien remplie du Quai Son, ils revisitent le répertoire de Pat Martino [3] dans une atmosphère où les accents jazz-rock de la musique permettent à Jean-Marie Viguier d’exprimer au mieux son talent, soutenu par trois complices visiblement heureux d’être de la fête. Aux compositions de Pat Martino (« Draw Me Down », « The Visit », « Mac Tough », « Welcome To A Prayer », « Think Tank » et « Nightwings »), le quartet Los Hombres ajoute une pièce d’un autre géant de la guitare (« Road Song » de Wes Montgomery) ainsi qu’une composition signée Viguier, « Sauce Piquante », qu’on peut écouter sur son premier album, Sable Chaud.
Los Hombres, des instants de chaleur, beaucoup de plaisir sur scène, une tranche de vie goûteuse. La vie du jazz ?


François Jeanneau & Friends – Médiathèque de Vandœuvre-lès-Nancy – Vendredi 21 mai 2010

En résidence pour quelques jours en Lorraine avec ses complices du bouillonnant et cuivré Bernica Octet, mais aussi dans le cadre d’un travail mené auprès des élèves du saxophoniste François Guell, François Jeanneau s’est livré à l’exercice très stimulant du Soundpainting devant quelques curieux privilégiés réunis dans le petit auditorium de la médiathèque de Vandœuvre-lès-Nancy. Autour de lui, trois membres du Bernica Octet : Pierre Boespflug (claviers), René Dagognet (bugle), François Guell (saxophone alto) et la fidèle Valentine Quintin (chant) dont on connaît notamment l’implication au sein du SPOUMJ.

Il faut certainement d’autres expériences comme celle-ci (présentée avec humour et pédagogie) pour entrevoir tout le potentiel de cette technique codifié dans les années 80 par Walter Thomson. Avec ses quelque 800 gestes – le Soundpainting est en effet à considérer comme un vaste alphabet visuel, un langage –, cette discipline en soi se prête bien aux imaginations fertiles. Au gré de son inspiration, le chef d’orchestre peut donner à ses musiciens, mais aussi à des danseurs, plasticiens, etc. en nombre variable pouvant atteindre plusieurs centaines de personnes, d’énigmatiques instructions visuelles très structurées qui provoquent réactions et improvisations spontanée de la part des intervenants. Au milieu des phrases ainsi créées peuvent aussi se glisser des séquences écrites (« palettes »), ou des échanges sous forme de dialogues cocasses, autant d’instants où la musique semble reprendre son souffle. Parfois aussi, on assiste à ce qui s’apparente à un ballet : les protagonistes arpentent la scène, dansent le haka ou font mine de s’assoupir sur leur siège…

Valentine Quintin, René Dagognet, François Guell © Denis Desassis

Cette démonstration ludique s’est prolongée par une courte séance de questions/réponses et exercice collectif associant le public. Au final, un moment de plénitude malicieuse et fourmillant d’idées réjouissantes : on se prend à rêver que le sound painting fasse l’objet d’un enseignement plus large auprès des enfants. Mais il s’agit bien d’un rêve, malheureusement, notre jeunesse étant rarement considérée comme un investissement rentable…


Tam De Villiers Quartet + Sébastien Texier Trio invite Henri Texier – Marly Jazz Festival – Dimanche 30 mai 2010

L’édition 2010 du Marly Jazz Festival ne manque pas, comme chaque année au mois de mai, de très bons moments de musique : parmi ses temps forts, le Trio de Stéphane Kerecki avec le saxophoniste Tony Malaby en invité de luxe, le Tribal Jazz Project de Damien Prud’Homme dont Citizen Jazz s’était fait l’écho ou, pour clore en beauté ces festivités desservies par une météo pluvieuse, une soirée fort prometteuse associant le quartet d’un jeune guitariste, Tam De Villiers et le trio de Sébastien Texier lui aussi augmenté pour l’occasion d’un invité, en la personne de monsieur Papa Henri Texier.

Tam De Villiers, britannique d’origine, propose un jazz qu’on qualifiera volontiers de contemporain en ce qu’il s’échappe régulièrement du cadre fixé par un thème initial, et affirme des influences assez chargées en électricité pour qu’on sache, dès les premières secondes, qu’on est bien en présence d’un jeune artiste qui sait ne fermer aucune porte à son inventivité, qui est réelle : tantôt, sur une rupture et la guitare semble suspendre le tempo, laisser échapper des arpèges aériennes avant de sonner plus rock, tantôt le quartet s’envole vers d’autres contrées moins balisées, où la qualité de l’improvisation tient beaucoup au talent des musiciens. La paire rythmique est composée de l’excellent Karl Jannuska à la batterie et du très stimulant Bruno Schorp à la contrebasse. Au saxophone, parfois doublé de quelques effets, David Prez apporte un contrepoint discret et marie subtilement les textures de son instrument avec celle des cordes de Tam De Villiers. Le quartet s’appuie en grande partie sur Alba Lux, bel album publié en 2009 et salué comme il se doit par Citizen Jazz, mais aussi sur de nouvelles compositions que les musiciens enregistrent actuellement, avec le renfort d’un cinquième élément en la personne du chanteur David Linx. En scène ou sur disque, Tam De Villiers aiguise la curiosité et la simplicité souriante du personnage donne envie de nouveaux rendez-vous.


Vient ensuite Sébastien Texier et ses deux acolytes, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils élèvent encore le niveau : Sean Carpio, jeune batteur irlandais, est d’une justesse constante ; très à l’écoute, il ajoute de subtiles couleurs de peaux et de cymbales, et maîtrise avec maturité la fougue de sa jeunesse pour la mettre au service d’une démarche collective. Claude Tchamitchian s’épanouit dans un contexte non pas de concurrence, mais de fraternité instrumentale qui le lie à son voisin de scène, Henri Texier.
Et ce n’est pas faire injure au talent du fiston clarinettiste – saxophoniste (il n’en manque pas) que de souligner à quel point le dialogue bondissant entre les deux contrebasses est le grand moment de ce Marly Jazz Festival 2010. Entre la soie mélodique et bondissante des pizzicati de Texier et les attaques nerveuses, presque coupantes, de Tchamitchian, souvent à l’archet, on se sent en harmonie avec ces frères d’armes dont on devine que les déclarations ne sont pas de guerre mais au contraire de défense sans concession d’un art majeur.
Sébastien Texier, au centre de la scène, a donc deux raisons de se réjouir : il propose un répertoire exigeant mais mélodique, qu’il puise dans Don’t Forget You’re An Animal (publié voici quelques mois), et agrémenté d’une des plus belles compositions de son père, « Desaparecido », d’une part ; et d’autre part, il assiste donc à un échange de toute beauté.
En guise de rappel, tous quatre nous font cadeau d’une splendide « Étude » signée d’un grand monsieur, Paul Motian.

Henri Texier au Marly Jazz Festival © Denis Desassis

par Denis Desassis // Publié le 21 juin 2010

[1« Rencontres instantanées » présentées par Music Academy International et l’IMA-Nancy (Instantanés Musicaux Actuels), collectif de musiciens qui fédère les intervenants du MAI et leurs réseaux artistiques.

[2Jean-Marie Viguier est le cofondateur du label Les Etonnants Messieurs Durand et a enregistré deux albums : Sable Chaud (1992) et Sage (1996). Il a également dirigé l’Orchestre National de Jazz en Lorraine, occasion pour lui d’enregistrer un magnifique disque intitulé Angustia d’Amour en 1999.

[3Jean-Marie Viguier nous rappelle que ce guitariste italo-américain, victime d’une rupture d’anévrisme en 1980, a dû tout réapprendre et qu’il s’est exercé à jouer ses propres disques pour pouvoir remonter sur scène !