Tribune

Teppo Hauta-aho, le souvenir de l’archet

Teppo Hauta-aho, grand contrebassiste finlandais, est décédé


Teppo Hauta-Aho

Artisan discret de la musique créative dans le nord de l’Europe, le contrebassiste Teppo Hauta-aho est de ces musiciens qui agissent davantage qu’ils ne parlent. Méconnu en France, malgré un disque remarquable avec Barre Phillips sorti il y a quelques années [1] et des collaborations prestigieuses, le Finlandais est pourtant un monument du jazz et des musiques improvisées européennes. Il nous a quittés il y a quelques semaines à l’âge de 80 ans.

Né en 1941 à Helsinki, Teppo Hauta-aho a d’abord consacré la première partie de sa vie à la musique classique, après des études de contrebasse à Helsinki et à Prague. Titulaire d’un poste de contrebassiste de 1965 à 1972 dans le Helsinki Philarmonic, il continua à jouer du classique au sein du Finnish Opera Orchestra jusqu’en 2000. Compositeur émérite, Hauta-aho est par ailleurs l’auteur de plus de 300 œuvres. Son jeu et son expression sont d’ailleurs toujours au carrefour des musiques créatives, ainsi qu’en témoigne Ode to Marilyn, un disque paru en 1974 avec le trompettiste Jarmo Sermilä et la chanteuse lyrique Pirkkolisa Tikka et qui offre une lecture sombre, spectrale, pleine de Sprechgesang et d’errances d’archet, qui montre la face tragique de la lumineuse actrice américaine.

© Michel LABORDE 2003

Mais bien vite, c’est le jazz qui le nourrit, et en 1971, il remporte un prix à Montreux, ce qui le fait connaître au monde entier. C’est pourtant à partir des années 80, notamment aux côtés du saxophoniste de Turku Harri Sjöström, que son nom apparaît aux côtés de grands comme Cecil Taylor. Il y a quelques mois, la Fundacja Słuchaj faisait d’ailleurs apparaître dans son catalogue un remarquable témoignage de cette expérience dans Lifting the Bandstand, enregistré en 1998 par la radio finlandaise YLE au Tampere Jazz Happening. Dans deux morceaux intenses, menés par la puissance des fulgurances de Taylor, on peut à nouveau goûter ce jeu d’archet fluide, agile, qui slalome littéralement entre les algarades successives du pianiste avec son percussionniste Paul Lovens. De quoi donner des lettres de noblesse à un contrebassiste qui n’aime rien tant qu’apporter du liant aux improvisateurs les plus aventureux. On peut le constater dans The Needles, un disque enregistré en trio avec Evan Parker et Phil Wachsmann en 2002. On le retrouvera également avec Anthony Braxton en 1988 au sein d’un éphémère Ensemble Braxtonia finlandais qui a joué la « composition n°145 », captée à cet occasion dans 2 Compositions (Järvenpää) 1988 où le sens de l’archet de Teppo Hauta-aho et son approche très contemporaine font des miracles dans l’orchestre.

Pour mesurer la renommée et l’importance de Teppo Hauta-aho dans la musique finlandaise et plus largement européenne, il faut s’intéresser au disque hommage sorti en 2016, A Tribute to Teppo, qui réunit de nombreux contrebassistes nordiques et internationaux (le fidèle Barre Phillips, le ténébreux Volkan Orhon…) pour des duos d’une beauté rare. Le monde de la contrebasse jazz et classique a perdu l’un des ses plus éminents représentants, de ceux qui s’intéressaient de près à la jeune génération, comme le guitariste Kalle Kalima avec qui il partageait une passion pour la musique de films, et notamment celle de Kubrick [2]. Il est grand temps de se replonger dans sa musique.

par Franpi Barriaux // Publié le 12 décembre 2021
P.-S. :

[1To Face The Bass, enregistré dans une prison pour mineurs finlandaise en 1998.

[2Some Kubricks of Blood avec le quartet K-18, enregistré en 2007 pour le label TUM records.