Chronique

Kummer-Ploton-Mastorakis

Forges

Tancrède D. Kummer (dms), Rémi Ploton (p), Samuel Mastorakis (vib)

Label / Distribution : Boomslang Records

Finaliste de la sélection Jazz Migration au tout début de l’année 2023, le trio emmené par le batteur Tancrède D. Kummer avait largement impressionné par sa maturité et sa sonorité très aboutie grâce à un instrumentarium à la fois audacieux et complet, le piano de Rémi Ploton venant s’adjoindre au vibraphone central de Samuel Mastorakis ; une formation qui aura séduit l’une des oreilles les plus aventureuses d’Europe ces temps-ci, Alfred Vogel, le patron du label autrichien Boomslang. À l’écoute d’« Anafauna », pièce complexe basée sur les tintements et les rythmiques induites par les maillets et les percussions plus sèches, on comprend vite pourquoi. Il y a chez Forges un travail de précision qui ne cherche ni l’esbroufe ni la performance, mais bien l’alliage le plus efficace. Lorsque Ploton, entendu notamment dans l’orchestre de Matthieu Notargiacomo, se fait plus insistant main gauche, c’est pour créer une alchimie nouvelle dans la relation entre vibraphone et batterie ; pour fusionner, les Forges ont besoin d’incandescence.

Ce sont néanmoins la douceur et l’étrangeté qui dominent, à l’image de « Débris I » où le piano tintinnabule dans les éclats sporadiques et enfantins d’une batterie soudainement intéressée par des objets disparates. Construits sur des formats courts, les morceaux de Forges sont autant d’univers : seul « Jeu » expose un temps plus long, qui est une forme de manifeste. On pense évidemment à Kurtág, entre autres influences très contemporaines. Ici, c’est le piano et l’excellent Mastorakis, repéré au sein du collectif Koa, qui font cause commune, Kummer se chargeant de l’entropie avant de laisser sa place au vibraphone, comme autant de masques. Il y a une part d’énigme chez TD Kummer ; elle est entretenue, puisque le mystère fait partie de l’identité de Forges, jusque dans « Ymbow », où l’autrice ukrainienne Shura Rusanova vient ajouter une forme d’indolence inquiète.

C’est un univers à suivre que celui de Tancrède D. Kummer et son beau trio. La petite boîte à musique qu’induisent ses compositions est vecteur de nombreuses émotions, dépassant justement l’aspect très mécanique qu’on pourrait craindre, ou plutôt lui donnant vie en fuyant une perfection déshumanisante. L’exemple le plus parfait réside dans « George Best Bar » et son parcours sinueux, volontiers zappaïen par instants, qui avance avec une grâce claudicante et torturée, à l’image du célèbre sportif mancunien cité dans le titre. Un trio à découvrir d’urgence !

par Franpi Barriaux // Publié le 3 septembre 2023
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