Chronique

Sébastien Lalisse / Michel Ivonio quartet

L’opéra des résistances (à René Char 2)

Michel Ivonio (voc), Sébastien Lalisse (p), Alain Soler (g), Olivier Chabasse (b), Cédrick Bec (dms)

Label / Distribution : Label Durance / UVM Distribution

L’esprit, sinon la lettre de René Char, soluble dans le jazz ? Ou bien le contraire ? Telle est la question que soulève cet essai enregistré live à Digne-Les-Bains le 7 décembre 2017, proposé par l’agrégation de redoutables improvisateurs régionaux avec un poète non moins provençal, Michel Ivonio, fou de jazz à la plume acérée.

Mais attention. Ici, nous sommes en Haute-Provence, dans cette terre de résistance, connue pour son irrédentisme républicain farouche. Notamment pour les actions de René Char à la tête des partisans locaux pendant la seconde guerre mondiale. Les textes originaux écrits et déclamés sans solennité factice par le poète intervenant rendent bien entendu hommage à son illustre prédécesseur, évitant citations et paraphrases, contextualisant les actions et les écrits du grand homme avec une humilité bien sentie et un humour acerbe (« Les pantoufles de Jean-Paul Sartre » rappelant bien évidemment la posture de spectateur adoptée par le philosophe pendant la guerre), non sans un certain sens de l’autodérision.

Aussi, pour les artistes réunis ici, il va de soi que si république il y a, elle ne peut être que sociale et sensible. Jazz donc. Le pianiste Sébastien Lalisse conduit les musiciens dans un maquis poétique, rendu cohérent par la contrebasse d’Olivier Chabasse, et joyeusement déconstruit par le jeu de guitare délicat d’Alain Soler, cependant qu’à la batterie Cédrick Bec enrichit le message par l’universalité de son jeu. Ils ont quelque chose de ces braconniers de Provence au sujet desquels Char écrivait : « Je remercie la chance qui a permis que les braconniers de Provence se battent dans notre camp. La mémoire sylvestre de ces primitifs, leur aptitude pour le calcul, leur flair aigu par tous les temps, je serais surpris qu’une défaillance survînt de ce côté. Je veillerai à ce qu’ils soient chaussés comme des dieux ! » (Feuillets d’Hypnos, 1943-1944).

L’ensemble rappelle évidemment le disque « Chroniques de Résistance » sorti chez nato en 2014, les paysages provençaux remplaçant les territoires limousins, le caractère intimiste de la musique remplaçant les hymnes libertaires mis en musique par Tony Hymas. Un bel essai du label Durance donc (qui succède à un premier opus en hommage à Char, sur lequel figurait Raphaël Imbert, toujours présent lorsqu’il est question d’engagement). Puisse-t-il rappeler aux jazzmen et women, ainsi qu’aux publics et auditeurs, de la région et d’ailleurs, l’ardente obligation de leur engagement poétique et résistant, à l’heure où l’Europe connaît une sinistre vague brune.