Antoine Polin : Living With Imperfection
Un film pour découvrir le portrait du grand pianiste américain Ran Blake
Présenté à Lussas aux États Généraux du Film Documentaire organisés par nos amis de Tënk en 2021, Living With Imperfection du Français Antoine Polin est comme tous les documentaires d’auteur : difficile à voir malgré le brio et l’émotion qui nous submerge à découvrir ce portrait du grand pianiste américain Ran Blake, même si, de la Gaîté Lyrique au Petit Faucheux, le film tourne.
On croyait tout savoir de l’artiste, comme nous l’avions présenté il y a quelques années, en homme d’image marqué par son travail avec Jeanne Lee et sa rencontre avec Gunther Schuller et le Third Stream. Taciturne, solitaire, fasciné par le Golden Age d’Hollywood et pourtant pédagogue émérite, Ran Blake est un personnage à part, de ces personnalités qu’il faut capter. C’est la grande force du film de Polin.
The Spiral Staircase [1], tourné en 1946 par Robert Siodmak - un réalisateur d’Hollywood d’origine allemande, spécialiste du film noir - est le film fétiche de Blake. Le documentaire d’Antoine Polin s’ouvre sur le pianiste regardant ce film étendu sur son lit ; il regarde cinq films par jour, nous dit-on, et sa vie est un scénario sans cesse recommencé. Un film typique de la RKO à l’image léchée, où le silence (lié au handicap de l’héroïne jouée par Dorothy McGuire) est au centre de l’intrigue. Spécialiste lui-même du film noir, Ran Blake lui a consacré de nombreux albums. On assiste, médusé, à des improvisations au piano où il grommelle quelques bribes de scénarios de films qui n’existent que dans sa tête, où Stéphane Audran croise improbablement Gene Tierney avec force images que nous rêverions de voir. Difficile, dès lors, de ne pas être profondément ému par cet artiste.
Le film d’Antoine Polin n’a pas seulement comme sujet la beauté obsessionnelle de l’univers de Ran Blake. Il a aussi comme sujet la vieillesse, non pas traitée comme une lente décrépitude mais au contraire comme un temps à part, à la fois troublant et plein d’amour, où les souvenirs viennent hanter le quotidien comme de soudains geysers, comme celui, omniprésent et fort, de son amie Jeanne Lee. Le regard de Polin sur son sujet est plein de douceur et d’écoute, et on ne peut qu’être séduit par ce témoignage et la musique de ce vieux monsieur de 87 ans que toutes les altérations mécaniques liées à l’âge ne parviennent pas à tarir, tant son amour du piano et du jazz est au dessus de tout. À voir, par tous les moyens possibles.