Chronique

The (Un)complete Gene Krupa on Clef & Verve

Rayon vinyle

Gene Krupa, v.a.

Label / Distribution : Jazz Factory

La récente découverte chez “The Jazz Factory” d’un « Complete Sextet Studios Sessions » de Gene Krupa - des faces publiées à l’origine sous le label Clef et enregistrées en 1953 et 1954 – relance la question, mineure certes mais néanmoins réelle, de la possibilité où nous sommes d’avoir accès, et sous quelle forme, aux sessions enregistrées par le batteur pour les labels Clef ou Verve entre le 19 mars 1952 et le 5 février 1964, date de la dernière séance en trio pour ces labels, tous supervisés par Norman Granz.
Dans la mesure où ces enregistrements, édités à l’époque sous forme de 78 tours, ou de 45 tours « Extended Play », mais aussi de 33 tours 10 inch ou 12 inch, dans un désordre assez indescriptible, sont difficiles à regrouper dans leurs éditions d’origine, on aurait pu penser à une publication chez Mosaïc Records.
Mais – la remarque vaut aussi pour le Lionel Hampton de ces années-là pour le même producteur – marché trop minuscule ou manque d’intérêt musical de ces faces – rien n’est jamais venu de la firme aux coffrets noirs, et rien ne semble s’annoncer. L’amateur est donc dans la nécessité de s’organiser, avec une bonne discographie et une large dose de patience.

Pour ce qui touche à Gene Krupa, tout se présentait sous le meilleur jour tant qu’existait la série de Gilles Pétard sous le titre « The Chrono(lo)gical ». Mais son interruption brutale laisse l’intégrale Gene Krupa orpheline de tout ce qui se situe au-delà d’une partie de la session du sextet du 2 février 1954. C’est là que le CD de chez « Jazz Factory » est précieux, puisqu’il complète la série de ces faces. Mais ensuite… c’est le flou total, ou plutôt une série de rééditions assez disparates, qui laissent totalement dans l’ombre la séance du 14 décembre 1954 avec Eddie Shu, puis celles du 7 février et 10 mars 1955 avec le même (pianistes et contrebassistes varient dans la composition de ce « Gene Krupa Quartet »).
Or ce multi-instrumentiste mérite mieux que cet effacement. Saxophoniste (alto et soprano), clarinettiste (il a fini sa carrière dans le « All Stars » de Louis Armstrong sur cet instrument), harmoniciste, trompettiste, accordéoniste et j’en passe, il avait la réputation d’un homme formé à l’école des ventriloques, semblait pour le moins instable dans ses choix, mais prouvait à l’occasion un réel talent d’improvisateur. Ecoutez-le par exemple à l’alto dans le second solo de « Makin’ Whoopee » (7 février 1955) et dites-moi si l’on n’a pas affaire là à une sorte d’épigone d’Art Pepper au plus vif de sa fêlure ! Comme la partie de piano de Bobby Scott est excellente et que le disque en son entier offre de vives satisfactions musicales, on regrette qu’il ne soit accessible que sous la forme du LP original (Gene Krupa Quartet, MG C 668), et qu’aucune réédition n’en ait jamais été publiée, même au Japon !

Interrompons un instant le parcours des faces de Krupa et penchons nous sur le cas d’Eddie Shu. On connaît de lui, et sous son nom, un seul disque vraiment répertorié, sous le label Bethlehem (BCP 3) ; il a pour titre (inoubliable, comme la pochette due à Burt Goldblatt) I Only Have Eyes For Shu ! Là encore, la musique est excellente, le soliste inspiré, les sidemen connus (Roy Haynes !) ; or, à ma connaissance pas la moindre réédition. Il semble qu’il existe un 45 tours publié en Australie sous le nom d’Eddie Shu, mais je n’ai jamais pu mettre la main dessus.

Le 31 juillet 1955, Gene Krupa retrouve Lionel Hampton et Teddy Wilson, ses partenaires de chez Benny Goodman ; c’est Red Callender qui est à la contrebasse, mais le disque réalisé à cette occasion, tout à fait remarquable, n’a quasiment jamais disparu des catalogues et on en connaît de nombreuses rééditions en CD. Même remarque pour la séance du 1er novembre de la même année avec Buddy Rich, ainsi que pour celle du 12 février 1956 qui donne « Drumming Man », en grand orchestre et avec Roy Eldridge et Anita O’Day en invités. Mais, de nouveau avec Eddie Shu et en quartet, le soliste fameux de « Sing, Sing, Sing » enregistre les 6 juin et 2 juillet 1957 un bon disque, sous le titre Hey ! There’s Gene Krupa. A part une trace de cette séance (« Gene’s Solo Flight ») sur un CD de compilations, pas de réédition connue à ce jour. Le Krupa Rocks du 1er octobre 1957, avec un nouveau soliste au ténor et à la clarinette (Gail Curtis) n’est pas mieux traité, sans que l’on puisse dire que le niveau musical soit si insuffisant qu’il faille négliger ce disque.

En revanche, de nouveau en big band (et il est vrai que c’est là qu’il trouve son meilleur emploi, et puis il y a les arrangements de Gerry Mulligan), Gene Krupa signe les 20/21/22 octobre 1958 un excellent Gene Krupa Plays Gerry Mulligan, toujours régulièrement réédité.
En décembre 1958 et janvier 1959 il recrute un nouveau soliste pour le quartet (Eddie Wasserman, fl, cl, ts) et grave Big Noise From Winnetka, pas facile à trouver mais réédité en CD au Japon, et même peut-être par Universal. Le printemps de la même année le voit à la tête de son grand orchestre pour The Gene Krupa Story, lié au film du même nom (assez nombreuses rééditions dont celle qui figure dans le coffret Mosaïc consacré à Anita O’Day). On saute ensuite à 1964 ; le très moyen et surtout très baroque Charlie Ventura (ts, as, bs, bass s) fait son retour dans le quartet et cela donne un oubliable Great New Gene Krupa Quartet facile à trouver en LP mais (encore une fois) jamais édité en CD.

Je ne sais pas si le label Verve a gagné beaucoup d’argent avec les disques de Gene Krupa entre 1952 et 1964, mais la musique produite, sans génie particulier, certes, mais avec de belles envolées ici ou là, ne mérite pas un tel oubli qu’il faille circuler entre quatre ou cinq formats et deux ou trois tables de lecture pour en écouter la matière.

Je milite donc pour une intégrale « Gene Krupa on Clef & Verve », et je suis prêt à en signer les notes de pochette…