Chronique

The Vandermark 5

Burn The Incline

Vandermark (ts, cl, b-cl), Job Bishop (tb, g), Kent Kessler (b), Tim Malvenna (dm), Dave Rempis (as, ts)

Label / Distribution : Atavisitic / Orkhestra

Hyperactif, Ken Vandermark aime jouer avec le plus grand nombre possible de partenaires. Au bout du compte, plus d’une douzaine de groupes différents, sans compter sa participation à un nombre très élevé de formations animées par d’autres leaders. Les plus en évidence de ces groupes sont le « Vandermark 5 » et le DKV trio avec Kent Kessler (b) et Hamid Drake (dm).

Les choses se sont un peu précipitées pour lui depuis cinq ans, les occasions de jouer en club à Chicago se multipliant, ainsi que les enregistrements et les engagements dans les festivals de jazz. Parallèlement, les contacts avec les autres instrumentistes ont également atteint un nouveau palier : Peter Brötzmann (anches, Allemagne), Paul Lytton (dm, Angleterre), Misha Mengelberg (p, Hollande), John Patton (org, New Jersey), Mats Gustafsson (anches, Suède) venant s’ajouter à une liste qui comprend tout de même Joe McPhee, un des musiciens de référence de Ken Vandermark, et les vétérans chicagoans Robert Barry (ancien batteur de Sun Ra) et Fred Anderson.

Satisfait de constater que l’on commence à envisager la scène de la musique de jazz à Chicago en dehors de l’unique référence à l’AACM, Ken Vandermark semble aussi assez heureux également de voir que son nom a finit par circuler en dehors de toute « promotion » par une « major », et il note que la moyenne d’âge des personnes présentes à ses concerts se situe autour de 30 ans. Quant aux « petits » labels, il relève qu’Okkadisk, Atavistic et Quinnah ont pris très au sérieux sa musique et celle de ses compagnons de route, appliquant à la promotion de leurs disques des méthodes qui prévalent pour des noms supposés plus importants. « Nous ne sommes pas considérés comme des musiciens »locaux" insiste-t-il.

En France, Ken Vandermark s’est fait connaître surtout à partir de la publication du disque Delmark Design In Time (Socadisc), où il dialogue superbement, sur des thèmes d’Ornette Coleman, Sun Ra, Albert Ayler, Don Cherry, Thelonious Monk et quelques originaux, avec les batteurs et percussionnistes Robert Barry et Tim Mulvenna. C’est donc, après cette très bonne séance et le Spaceways Incorporated chroniqué par ailleurs, le troisième opus de cet instrumentiste et compositeur qu’il m’est donné d’écouter. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas beaucoup non plus, eu égard à une production assez impressionnante.

Burn The Incline est construit exclusivement sur des compositions originales, ce qui présente l’avantage de faire connaître plus avant la musique personnelle de Ken Vandermark. Avec ses multiples dédicaces – à Joe Morris, Nate McBride, William Parker, Misha Mengelberg, Pandelis Karayorgis – cet enregistrement s’inscrit donc dans une démarche soucieuse de se marquer du côté libertaire et avant-gardiste sans rien exclure de la tradition et avec le désir d’ouvrir à partir de là des horizons inexplorés. Ce qui conduit à des passages arrangés de très belle manière, qui peuvent parfois rappeler l’ambiance des années 50-60 lorsque les musiciens noirs avaient le souci de travailler leur matériel musical dans un sens « avancé », harmoniquement riche et raffiné sur le plan instrumental. Par ailleurs, et en d’autres moments, la musique s’engage dans des directions plus expressément contemporaines, qu’il s’agisse de passages free, ou résolument « rock underground ». Ce mélange des styles ne pose qu’un problème, qui est celui de sa « ratio » musicale Lorsque ces explorations diverses sont conduites par la logique d’un morceau, par le processus qui préside au déroulement d’une pièce, on en comprend la nécessité. Mais lorsqu’il semble que le procédé est davantage celui du collage, ou de la juxtaposition, on a seulement à faire alors avec une nouvelle dimension de la pratique post-moderne, dont on ne saurait (sauf à privilégier a priori la jeunesse et le caractère « rentre-dedans » du propos) légitimer pour l’un la validité, si on la refuse à d’autres…

Ces quelques réserves, qui sont aussi des questions, ne doivent pas écarter l’auditeur de l’approche d’un musicien dont l’œuvre multiple ne fait que débuter. Il faut poursuivre l’exploration du travail de Ken Vandermark en même temps que le musicien découvre les horizons de la musique qu’il porte en lui.