Tom Waits appartient au club de ces originaux américains dont un abécédaire pourrait se décliner d’Ayler à Zorn, en passant par Daniel Johnston et Hank Williams. Leur son est instantanément reconnaissable entre mille et leur œuvre souvent transgenre.
Né en 1939 à Pomona, Californie, Thomas Alan Waits est véritablement devenu Tom Waits en 1983, l’année de ses 34 ans. Après une poignée d’albums sous auspices crooner-piano bar, sort alors Swordfishtrombones. Autant dire, une déflagration : vocaux caverneux et éraillés, percus métalliques, déglingue tapageuse et sophistiquée, magma de blues primal, rock expérimental, jazz et folk. Un nouveau clou enfoncé dans la voie précédemment ouverte par Captain Beefheart.
Le chemin trouvé, et le sommet atteint rapidement sur les albums Rain Dogs et Bone Machine, le risque d’auto-caricature pointait. Ce qui finit par arriver, et culmina sur la récente triple compilation Orphans : Brawlers, Bawlers & Bastards.
Après sept ans de silence studio, Bad As Me est l’album que l’on n’attendait plus. Tout Tom Waits est là, sans gras, sans excès, puissant, dans une forme mélodique éblouissante, en parfait équilibre, slalomant entre ballades folk-blues lacrymales et trombes rock électriques. Comme à l’habitude, l’instrumentation est foisonnante : guitares, violon, cuivres, harmonica, claviers, tablas, vibraphone, orgues, entre autres. Une galaxie de collaborateurs prestigieux est également convoquée, aux premiers rangs desquels le classieux guitariste polymorphe Marc Ribot, compagnon de la première heure, ainsi que le surprenant revenant Keith Richards, crédité sur quatre titres.
Rien n’est à jeter sur les treize chansons de Bad As Me. On extraira cependant quelques perles : Talking at The Same Time avec son hypnotique falsetto orné d’arpèges de piano étincelants comme des nuages de paillettes ; Kiss Me et son dépouillement crépusculaire ; ou encore l’inaugural Chicago, blues ferroviaire lancé plein pot sur la voie d’un retour en grande forme.