Chronique

Tony Oxley

The New World

Tony Oxley (perc, electronics), Stefan Hölker (acoustic perc)

Label / Distribution : Discus Music

Considéré comme un ingénieux créateur, Tony Oxley a toujours eu une longueur d’avance sur ses pairs. Sa vision artistique conjuguée à une immense maîtrise instrumentale fait de lui un musicien clé dans l’histoire des musiques improvisées. Sa prédisposition à générer l’éclatement des structures rythmiques et harmoniques se manifeste dès le début des années soixante. En parallèle, sa parfaite connaissance du jazz le conduit à accompagner Bill Evans et Sonny Rollins alors qu’il est le batteur attitré du Ronnie Scott’s à Londres. Son jeu de batterie imaginatif illumine l’album de John McLaughlin, Extrapolation. À l’inverse de McLaughlin et Dave Holland qui ne résistent pas à l’appel de Miles Davis, il ne rejoindra pas les Etats-Unis : sa prédilection pour les musiques libres et les concepts de Derek Bailey l’emporte. Avide de nouvelles sensations, il s’installe en Australie puis en Allemagne et invite les musiciens est-allemands à le rejoindre dans son Celebration Orchestra. L’ensemble de cornemuses du Glasgow Skye Pipe Band s’associe à cet orchestre lors du Festival de Jazz de Grenoble au début des années 90, ce qui témoigne du pluralisme de ce batteur.

Cet album intitulé The New World, dont le titre fait écho à Tomorrow is Here enregistré en 1985, dépasse toutes les expériences underground où s’est plongé Tony Oxley depuis qu’il a revisité l’avant-gardisme afro-américain aux côtés de Cecil Taylor, Anthony Braxton et Bill Dixon. Les superpositions de masses sonores et l’hybridation électro-acoustique composent un univers semblable à l’action painting. A l’instar de ses confrères batteurs Han Bennink et Daniel Humair, en effet, Oxley peint : il transfigure un univers abstrait empreint de chamanisme. La dialectique développée dans ces six compositions renvoie à ses peintures. Stefan Hölker, longtemps membre du Celebration Orchestra où se côtoyaient cinq batteurs, est le partenaire musical de Tony Oxley. Il se concentre sur les percussions acoustiques dont il façonne les substances. Le set de batterie de Tony Oxley, qui mêle un éventail de woodblocks ellingtoniens, de cloches de différentes tailles et d’éléments orientaux, a depuis longtemps intégré l’amplification électronique en complément des rythmes. Ici, la démarche expérimentale épouse l’intensité des improvisations, des cataclysmes succèdent à des textures soyeuses. La musique se construit par d’innombrables réseaux enchevêtrés qui intègrent des hachures ; le résultat évite ainsi toute démarche automatique.

Ce duo vise à conquérir une liberté transgressive. The New World est enthousiasmant et préfigure de nouveaux schémas musicaux. Le portrait de Tony Oxley qui figure à l’intérieur de la pochette du disque est dû à Tutta Oxley : le musicien paraît s’y affranchir du cadrage, à l’image de sa musique futuriste.

par Mario Borroni // Publié le 21 janvier 2024
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