Chronique

Tony Oxley

February Papers

Tony Oxley (perc, electr, vln), Barry Guy (b, bg), Philipp Wachsmann & David Bourne (vln), Ian Brighton (eg)

Label / Distribution : Discus Music

Tony Oxley est un personnage-clé de l’émergence de l’improvisation libre britannique. On lui doit en particulier la création du label Incus avec Derek Bailey et Evan Parker. Il nous propose là une réédition d’un album de 1977, introuvable avant cela, réalisée sous sa supervision.
Mais je vous suggère de ne pas replonger dans cette cavalcade homérique des grands aventuriers des années 70 et d’aborder plutôt cet enregistrement comme une production d’aujourd’hui.

On y retrouve le batteur en quartet, en trio et en solo.
Un batteur ? Ici il joue aussi du violon et c’est un quartet de cordes qui ouvre l’album, « Quartet 1 ». Et encore, on est bien loin de tout usage académique des dites cordes. Ça crépite de partout, ça siffle, ça ronfle un peu, ça stridule, ça explose de toutes parts… ça déconcerte. On en a le souffle coupé. Il en va de même dans « Chant Quartet » qui fait penser à des mécaniques un peu folles, déréglées. Mais ici, la percussion, ou plutôt le « drum kit » de Tony Oxley s’y déploie. Les chocs se font liquides, ruisselants. Des frottements frénétiques d’archets, à l’image d’essaims de gros bourdons métalliques, envahissent l’espace. On y retrouve la puissance onirique des musiques acousmatiques où l’origine des sons est incertaine, où il n’y a d’autres repères que notre imaginaire et les crépitements de nos synapses.
À ces quartets participent, outre le leader, Philipp Wachsmann, David Bourne et Barry Guy.

Ian Brighton n’apparaît que dans les pistes en trio, « Sounds of the Soil » et « Trio », en compagnie de Philipp Wachsmann. Dans cette dernière pièce, les cordes apportent comme des balbutiements, des pépiements, des stridences contenues, des résonances et des crépitements, mais l’ensemble s’articule autour de cet étonnant « drum kit » qui occupe l’espace de frappes, de sons qui ne doivent plus rien au free pourtant en pleine sève à cette période. L’électronique est celle de l’époque (il y a plus de quarante ans !), mais Tony Oxley semble avoir pu échapper aux clichés d’alors. Son jeu éveille en nous le souvenir de celui de Derek Bailey, mais il bifurque. Il propose des marées de particules aux mouvements browniens qui semblent avancer inexorablement, qui nous submergent.

C’est dans les trois pièces en solo que sa musique va fouiller spécifiquement certains recoins. Dans « Brushes », comme on l’imagine, c’est un festival de jeux de balais. Les pulsations, les leitmotivs sont hors champ. Ici, c’est plutôt un tapis de timbres, de frappes, de résonances. Naturellement, dans « Combination » c’est un mix percussions-électronique qui est à l’œuvre dans une sorte de space opera qui enfle progressivement et nous entraîne loin de nos territoires. Une très belle réussite. Enfin, dans « On The Edge », c’est l’archet de son violon qui occupe l’espace avec, je ne sais comment, son dispositif électronique. On y retrouve les essaims métalliques, des stridences, une sorte de frénésie quasi immobile qui semble n’être qu’un extrait d’un flux au long cours.
C’est donc un album témoignage de ce que cette musique de plus de quarante ans avait déjà perçu des décennies futures. Certes l’électronique d’alors ne pouvait offrir que ce qu’elle avait, mais Tony Oxley avait su l’intégrer dans cette grande mouvance de l’improvisation libre. Il en va de même des musiciens dont le langage est d’une actualité très surprenante. Cet enregistrement séduira les oreilles exigeantes d’aujourd’hui. Laissez-le vous cueillir.

par Guy Sitruk // Publié le 20 décembre 2020
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