Chronique

Cecil Taylor & Tony Oxley

Birdland, Neuburg 2011

Cecil Taylor (p), Tony Oxley (dms)

Label / Distribution : Fundacja Słuchaj

Que disent deux légendes quand elles se rencontrent ? Elles discutent, elles badinent, mais elles ne se la racontent pas. Surtout lorsque ce n’est pas la première fois, tant s’en faut, que le piano de Cecil Taylor croise les baguettes de Tony Oxley. Ici, nous sommes en 2011, dans une cave allemande qui suinte non de salpêtre mais plutôt d’intimité. N’imaginez pas pour autant qu’ils ne font pas parler la poudre : vingt ans après Looking (Berlin Version) Corona, avec Harald Kimmig et William Parker, les deux vieux messieurs savent encore s’alpaguer et s’encanailler. La main gauche de Cecil Taylor, immense et vorace, impose des rythmes fiévreux au batteur qui fait le choix de plutôt faire sonner le métal.

C’est une direction qu’ils avaient déjà sélectionnée pour leur duo Leaf Palm Hand, paru en 1989. Mais les morceaux étaient plus courts et plus urgents. Ici, en deux titres plus longs, on laisse la place à une certaine flânerie. Mais au fond, baguenaude-t-on sous la mitraille d’Oxley ? L’Anglais, qui a joué avec Ulrich Gumpert, Anthony Braxton et bien sûr Paul Bley ou Dave Holland, est l’incarnation de l’intranquilité. Même lorsque Cecil Taylor semble se tourner vers des temps plus adoucis, voire des monologues intérieurs, il lui faut peu de gestes pour relancer la machine ; les cymbales sont les banderilles du picador. Il n’en faut qu’une, bien placée, pour que tout le corps s’innerve. Chez Taylor, cela se traduit en soudaines accélérations, comme des gifles que Tony Oxley appuierait en virulents coups de grosse caisse. Il y a une tension permanente, mais elle n’est pas hostile. Elle est joueuse. C’est une pulsion de vie.

C’est une archive exceptionnelle que nous propose la Fundacja Słuchaj, et pas seulement parce que Cecil Taylor nous manque grandement. Certes, ce concert inédit de 2011 est une sacrée pièce passée sous silence, et le travail de la maison de disque polonaise est de ce point de vue indispensable. Au-delà, ce qui est étonnant et réjouissant, c’est la fraîcheur et le plaisir du jeu, omniprésents. On passe en un instant du calme à la turbulence ; on s’amuse de voir ces deux vieux messieurs toujours rire avec candeur de leurs propres blagues et de la nouveauté de leurs idées. Un doux plaisir.

par Franpi Barriaux // Publié le 15 novembre 2020
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