Chronique

Dimitri Naïditch

Ukraine - Les chansons sans voix

Dimitri Naïditch (p)

Label / Distribution : Autoproduction

Ne nous y trompons pas, la musique est traversée de toute éternité par des fulgurances poétiques qui bien souvent ont pour naissance le rejet de totalitarismes et de sentences inappropriées au déroulement de la vie.
Le jazz n’est-il pas d’ailleurs le plus grand acte de résistance artistique de la population afro-américaine au début du vingtième siècle ?

L’aube du vingt-et-unième siècle n’échappe pas à la règle : la terreur se propageant en Ukraine nous bouleverse dans notre confort quotidien mais ne nous laisse jamais indifférents, un peuple subit la guerre. Civils en ligne de mire.

Dimitri Naïditch lutte seul contre les chars d’assaut, avec pour seule arme son piano. La force musicale qui en découle privilégie l’aspect mémoriel de son pays et n’en est que plus intense et vive. L’intensité des quatorze chansons de ce disque [1] est plus qu’une lueur d’espoir pour les Ukrainiens, elle est le dépositaire d’actes musicaux en devenir.
Avec Ukraine, Les chansons sans voix, nous pénétrons dans l’histoire qui a façonné les airs musicaux de ce pays aux 800 000 chansons. Dimitri Naïditch a l’intelligence rare de ne pas retranscrire seulement les airs traditionnels de son pays d’origine ; mieux : en respectant les trames populaires, il y adapte sa vision empreinte de jazz et d’improvisation.

« La Jeune Fille et le fleuve » nous submerge avec son interprétation extatique, « Danse des Carpates » est délicieuse par son caractère enjoué et virevoltant, « Kolyskova » est une berceuse tendre et superbe, « Pryjdy mamka » évoque une jeune fille qui déplore la disparition de sa mère et qui demande à un peintre : « si ma mère n’est pas là, vous pouvez peut-être me la dessiner ? » « Toccata sur Nesé Galia vodou » est une chanson rayonnante qui surgit de manière surprenante comme un souvenir mémoriel, « Douma » est empreinte de finesse et nimbée de spiritualité. L’album se referme avec une improvisation sur l’hymne ukrainien. Dimitri Naïditch a accompli une oeuvre éclatante ; diplômé d’Interprétation, de Musique de Chambre, de Professorat et d’Accompagnement, il n’en est pas moins le compagnon de route d’Andy Sheppard et du collectif ARFI. Homme d’ouverture d’esprit.

Ce grand pianiste accompli éclate les carcans de musiques ancestrales pour mieux les faire revivre avec un éclairage particulier, celui de notre époque. Ce sont les frontières qui sont alors abolies, mais avec ce qu’il y a de plus noble : l’ouverture pacifique à d’autres mondes possibles. Cet album rend justice à la culture ukrainienne tout en l’habillant d’atours contemporains dans lesquels les musiciens et musiciennes du monde entier viendront piocher librement pour continuer de s’en inspirer.

par Mario Borroni // Publié le 16 avril 2023
P.-S. :

[150 % des bénéfices des ventes de ce disque iront au profit du Conservatoire National de Kiev.