Chronique

Verneri Pohjola & Black Motor

Rubidium

Verneri Pohjola (tp), Sami Sippola (ts), Ville Rauhala (b), Simo Laihonen (dms)

Label / Distribution : Tum Records

En quelques années, Verneri Pohjola est devenu l’un des musiciens incontournables de la scène scandinave, et ses albums personnels comme ses participations se sont en peu de temps multipliés. Ils sont majoritairement hébergés chez ACT, label mais aussi écurie dont le trompettiste est un des plus fiers représentants. Il est recommandé de s’immerger dans son univers par Aurora et Ancient History. Le lyrisme dont il y fait preuve est remarquable, tout comme sa faculté d’écrire une musique où se conjuguent puissance et raffinement.

Rubidium est l’occasion de l’entendre dans un contexte tout autre puisqu’il est ici invité par Black Motor, trio finnois tourné vers l’improvisation rugueuse dont les membres se montrent très actifs, sur un plan strictement musical ou par l’organisation de concerts et festivals dans la région de Tampere. Ils ont, au fil des performances liées à ces événements, pris l’habitude de convier des musiciens avec lesquels ils partagent des racines musicales (ou qui les représentent, comme das le cas de Peter Brötzmann) ou géographiques. C’est ainsi que la trompette téméraire mais peu belliqueuse de Pohjola s’est retrouvée plongée dans le chahut de ses turbulents compatriotes. Il faut croire que l’expérience fut belle, puisque la voici prolongée par Rubidium, disque puissant qui rend justice à la fougue des uns comme à la patte mélodique de l’autre.

Un terrain d’entente a été trouvé sans compromis ni sacrifice. Le son écorché de Black Motor s’accommode fort bien de la cinématique du jeu de Pohjola, d’autant que les compositions favorisent ses envolées comme celles, plus péremptoires, de Sami Sippola. La rythmique, qui s’épanouit dans une constante remise en question, appose sur son habitus véhément un respect structurel et un propos d’une abstraction très relative. L’impétuosité devient alors émotion, et les thèmes ainsi traités sonnent comme des hymnes qui renvoient tout à la fois au Liberation Music Orchestra de Charlie Haden et aux formes prophétiques d’Ornette Coleman. Ils sont ici interprétés par des « enfants du free jazz » ayant assimilé le vocabulaire déraillant et l’incandescente volupté des défricheurs de territoires américains et surtout européens (Brötzmann, Fred Van Hove, Han Bennink, Albert Mangelsdorff, Alexander Von Schlippenbach…).

Dans ses copieuses et instructives notes de pochette, Petri Haussila détaille les différentes zones géographiques qui sont, en Finlande, de véritables pôles de développement du jazz d’avant-garde, ainsi que les musiciens qui en sont issus. D’ici, il faut tendre l’oreille pour percevoir les échos de cette scène vivace, mais elle est solidement ancrée dans ce qui commence à devenir une école. La culture du son rêche et de l’urgence propre à cette filiation n’est pas opposable à l’esthétique lisse et éthérée du jazz scandinave mis en avant, entre autres, par le label ECM. Les neuf morceaux de ce disque se trouvent à mi-chemin des deux approches et tirent bénéfice des caractéristiques de chacune. D’un côté la force, pareille à celle d’une tornade gourmande de bois, de terre et de ferraille, et de l’autre un sens avéré de l’espace et de la dramaturgie. Après tout, plus le balancier est long, plus on a d’équilibre.