Chronique

Vladimir Bozar ’n’ze Sheraf Orkestar

Universal Sprache

Fractal (cla, elec, acc), Ben’Houz (dms), Cyro (g, Kazoo, voc), Mina (b, voc, cla), Pedral (voc, mando, g)

Label / Distribution : Le Chant du Monde

« Does Humor Belong in Music ? » [1]. C’est par l’affirmative, et de manière tonitruante, que Vladimir Bozar’n’the Sheraf Orkestar répondent à la question posée par Frank Zappa, l’une des figures tutélaires de ce jeune groupe niçois. Universal Sprache, son premier album, se donne le fiévreux foutoir comme ligne directrice. Mieux, comme ligne de conduite.

S’affranchissant d’emblée de toute contingence stylistique, ce groupe (que l’entomologiste le plus acharné ne saurait ranger dans aucune case) passe, dans une sorte de feu d’artifice permanent, de la ritournelle klezmer au débordement de metal hardcore. Un drum’n’bass gorgé d’acide et teinté de musique de film renverse la construction quelques mesures plus loin… Le tout, et voilà le plus remarquable, sans jamais perdre sa cohérence.

Pour s’en convaincre, il suffit de prêter attention à « RRS Master » qui ouvre l’album, ou encore à ce « Grand Rabbi » - brusque hommage à Vladimir Cosma. Les plus aventureux chercheront dans le binaire basique de « Rockabiloose » une longue digression emprunté au « Chapi-Chapo » du talentueux François de Roubaix. On en ressort essoré, essoufflé mais conquis par l’énergie de ce constant zapping, comme on attise un feu qui couve.

Dans une constante recherche du clin d’œil et du point de rupture, la musique de Vladimir Bozar tient avant tout de l’OSNI [2] dont le délire est le moteur. Certes, l’atmosphère pleine d’énergie évoque parfois le second degré un peu épais d’un certain rock alternatif des années 80… Les quatre musiciens sévissant sous pseudo contribuent, par cette faculté de varier les atmosphères comme on change de mesure, à cette impression cartoonesque de course continuelle tout au long d’un album où les pauses sont rares. Mais il ne s’agirait pas de dénigrer le contenu sous prétexte que le contenant n’est pas toujours finement ciselé. Cet univers foutraque fait penser aux travaux de Trey Spruance [3], avec Mr Bungle ou Secret Chief 3. Ce dernier a d’ailleurs pris le groupe sous son aile pour une tournée européenne.

Cette effervescence pourra sembler assez indigeste pour les amateurs de jazz qui ne goûtent pas forcément la virulence et la dérision de ces sautillants perturbateurs. Ce serait oublier d’une part que le metal, de Naked City à Panzerballett a depuis longtemps franchi les barrières heureusement poreuses de cette musique et, d’autre part, oublier que c’est du frottement des univers que naît la création et que se rejoignent les voies nouvelles… Les autres, affranchis des étiquettes, goûteront avec délectation l’explosion de saveurs d’Universal Sprache, comme un bonbon un peu chimique qu’on ne se lasse pas de mâcher.

par Franpi Barriaux // Publié le 22 juillet 2010

[1L’humour a-t-il sa place en musique ? Question centrale de l’œuvre de Zappa, et par ailleurs splendide album du maître, sorti en 1986.

[2Objet Sonore Non Identifié.

[3Guitariste américain à l’origine, avec Mr Bungle, de Disco Volante, produit par John Zorn et considéré par beaucoup comme un acte fondateur. Spruance a par ailleurs participé à maints projets de Zorn, tels Elegy ou Book of Angels.