Tribune

Zappa en Grands Formats


Frank Zappa © Henning Lohner

En ces temps de syncrétisme musical, dès qu’on augmente le nombre de musiciens dans un orchestre, le nom de Frank Zappa apparaît, au moins en image mentale chez l’auditeur. 25 ans après sa mort, le compositeur d’aujourd’hui qui refuse de mourir est on ne peut plus vivant, au moins dans l’imaginaire collectif. Les projets autour de son œuvre sont nombreux et il nourrit la machine à fantasmes et à références. Est-il pour autant une influence durable pour les chefs d’orchestre aujourd’hui ? Le plus simple était de poser la questions aux membres de la Fédération Grands Formats qui ont pris le temps de nous répondre.

  1. Quelle est votre appréciation du travail de Frank Zappa ?
  2. Comment le percevez-vous dans sa direction d’orchestre ?
  3. A titre personnel, est-ce un musicien qui vous a inspiré ?

Il ne s’agit pas de rédiger un manuel de sociologie zappaïenne du chef français contemporain - autant danser sur de l’architecture - mais notons que sur les réponses obtenues, une seule détonne et rejoint la position de notre directeur de publication : Pierre Bertrand qui dirige le tentet sudiste Caja Negra n’est pas un amateur de Zappa, qui ne l’a nullement influencé : le guitariste moustachu lui renvoie « l’image d’un gourou », preuve que le consensus n’est heureusement toujours pas de mise.

Fred Pallem

D’autres sont plus nuancés, à l’image de Fred Pallem qu’on range souvent à tort parmi les zappaïens : même s’il aime Zappa sur scène (« C’est rare d’entendre un groupe aussi soudé. Le show est bourré de surprises, tout peut arriver (…). Cette liberté totale est magnifique »), il ne reconnaît pas son influence : « Je ne suis pas un inconditionnel de Zappa au niveau composition. J’ai rarement pu écouter un album entier, c’est souvent indigeste pour moi. Un peu comme chez Zorn, l’œuvre est tellement énorme qu’il y a forcément des déchets. Ce que je trouve fabuleux c’est l’œuvre dans sa globalité. Déployer autant d’énergie sur une période aussi longue ça force le respect ». En tant que chef, le patron du Sacre du Tympan a un regard lucide et clinique : « Le gars savait parfaitement ce qu’il voulait. Pour envoyer ses partitions à Boulez pour qu’il les dirige et que ce dernier accepte, ça prouve que ce n’était pas un rigolo. Même si je pense que la démarche de Boulez était avant tout politique dans le fait d’incorporer Zappa à un programme de musique contemporaine. ». Même chose chez Pierre Baldy-Moulinier qui dirige L’Oeuf Big-Band et ne se sent pas directement influencé par ce « musicien hors norme » qu’il juge « autoritaire, certain de la direction artistique qu’il souhaitait développer ».

Chez les guitaristes, le regard est forcément différent. Pour David Chevallier, Zappa est « un musicien exceptionnel, une très grosse personnalité avec une imagination sans limites, le goût du risque et de la provocation, bref un cas unique à mon sens ». Et même si leurs musiques respectives sont éloignées, « Frank Zappa reste un modèle », un chef d’orchestre qui a « trouvé cet équilibre miraculeux entre rigueur et fun ».

Pour Fred Maurin, nouveau directeur de l’ONJ et chef de Ping Machine, Zappa est un influenceur majeur : « il y a une très grande liberté chez Zappa qui m’a toujours fasciné et dont l’exemple m’a, d’une certaine façon, autorisé à ne pas respecter certains codes ou certaines règles implicitement imposés par les genres musicaux… ». Son constat est sans appel : « Loin des genres prédéfinis par l’industrie musicale et par la critique, Frank Zappa a réalisé une œuvre qui, avant tout, lui est propre. Même si on ne peut bien évidemment détacher cette œuvre du contexte musical dans laquelle elle a été produite - et Zappa aura traversé une période dans laquelle beaucoup de styles musicaux qui étaient dans une période très créative l’ont influencé - son originalité, le fait qu’on le reconnaisse à la première écoute, est pour moi la marque indéniable d’un compositeur majeur. »

Et puis il y a les fans : « C’est un génie », clame Ève Risser. Pour Thierry Girault qui, avec Le Bocal, a commencé à rendre hommage à Zappa il y a quinze ans, « la seule chose qui a un peu vieilli c’est le son. Pour le reste il est toujours une grande source d’inspiration pour son refus du cadre, de la norme… Il a écrit pour petit ensemble, big band, harmonie, symphonique etc. » : un travail qu’il juge étonnant tant sur la forme, la composition et surtout la rythmique : « C’est monstrueux, combinaison binaire, ternaire, mesures impaires… et c’est toujours bien vécu musicalement. »

Enfin, pour conclure, nous ne résistons pas au plaisir de vous faire partager le mail d’Andy Emler, souvent comparé à Zappa , dans son intégralité :


« Je m’appelle Andy Emler,
J’ai fait connaissance avec la musique de Frank Zappa adolescent par un ami mais je n’ai pas accroché du tout… mes oreilles étant plus tournées vers des groupes comme Led Zeppelin ou les Who ou ELP…
Ce n’est que dans les années 90 que le festival de jazz d’Amiens me commande une œuvre sur celle de Zappa et que j’ai donc fait vraiment connaissance avec sa musique.
Je n’appris que bien plus tard que l’on comparait souvent l’esprit de la musique du MegaOctet avec l’esprit Zappa. Je n’ai personnellement pas été influencé par sa musique dans mon écriture.
Travailler avec ce monsieur de la musique du 20e siècle devait être passionnant.
De très longues périodes de répétition avant de partir en concert, nous répétons 1 à 2 jours par an et le mot « tournée » a un peu disparu de nos milieux musicaux. »