Sur la platine

À Sdban Records, on voit Gand

Présentation du label de réédition (mais pas seulement) belge dont la maison mère se situe sur les rives de l’Escaut.


Sdban Records a été fondé en 2014 par Stefaan Vandenberghe. Celui-ci commence par rééditer des albums qu’il tire de sa propre collection de vinyles avant de réaliser des compilations de morceaux de jazz et de funk belges des années soixante et soixante-dix. Le tout premier disque du label, Funky Chicken : Belgian Grooves from the 70’s a été célébré un peu partout. Sdban publie également des compilations sous forme de rétrospectives de musiciens belges comme André Brasseur, René Costy, Koen De Bruyne ou Jack Sels. En 2016, il crée le sous-label Sdban Ultra afin de promouvoir les nouvelles musiques d’artistes belges contemporains de jazz et de funk. La première référence sera l’album One Mirrors Many du groupe De Beren Gieren. Suivront d’autres groupes : STUFF., ECHT !, Black Flower ou Azmari. Aujourd’hui, Sdban compte près de 70 références. Tour d’horizon chronologique.

Tout commence donc en novembre 2014 avec la jubilatoire compilation Funky Chicken. Sous-titrée Belgian Grooves from the 70’s, cette première sortie du tout nouveau label Sdban donne immédiatement le ton quant à la ligne éditoriale du label : du groove, du groove, du groove. Une musique qui balance, pleine de beats, de cuivres, de basses ronflantes, de guitares aux couleurs funk, parfois de voix chaudes et sensuelles, bref une musique qui invite à la danse et au lâcher-prise. On y croise des groupes comme les Chakachas et leur musique d’inspiration afro-cubaine, les emprunts rock prog d’Alex Scorier ou du Chicken Curry & his Pop Percussion Orchestra, le jazz fusion de Mad Unity et Placebo (le groupe belge, pas le groupe de Molko et compagnie), mais aussi René Costy et André Brasseur, deux figures du jazz belge de l’époque (dont on reparlera un peu plus tard). En tout 29 titres, tous plus chouettes les uns que les autres, répartis sur deux CD, qui donnent à entendre l’effervescence toute belge de ces années-là. Délicieux. Notons qu’une deuxième compilation verra le jour presque trois années plus tard, baptisée Funky Chimes : Belgian Grooves From The 70’s.

L’année suivante, Sdban réédite l’album, devenu culte, Here Comes The Crazy Man ! du belge Koen De Bruyne, sorti en 1974 sur le label Vogue. De Bruyne (1946 -1977) est pianiste et compositeur. Il commence sa carrière en tant que pianiste classique avant de se tourner vers le jazz puis plus tard les claviers électriques. Musicien de studio, il est présent sur de nombreux albums d’artistes belges sortis entre la fin des années 60 et le début des seventies. Sur Here Comes The Crazy Man !, il est entouré de musiciens expérimentés (dont plusieurs membres du groupe Placebo) qu’il guide, de ses claviers omniprésents, sur ses compositions explosives et dynamiques, faites d’envolées grandiloquentes et de redescentes acrobatiques, empruntant çà et là les codes de la fusion, du jazz-rock et du rock progressif. Une curiosité. On lui préfèrera cependant Piano Improvisations que le label a sorti en 2017 et qui regroupe quatre improvisations retrouvées dans les cartons du pianiste après sa mort prématurée.

Au printemps 2016 paraissait, en vinyle, le premier album du sous-label, Sdban Ultra, dédié aux artistes belges contemporains. Œuvre du trio De Beren Gieren (Fulco Ottervanger, Lieven Van Pée, Simon Segers), One Mirrors Many était sorti initialement l’année précédente sur Clean Feed. Notre chroniqueuse Anne Yven écrivait alors : « One Mirrors Many concilie mélodies pop gracieuses, musique répétitive, parfois lente, méditative, rythmes irréguliers, ajoute quelques méandres bruitistes sur des titres échappatoires sans nom, de la plus douce des façons. Ce disque aux mille facettes éclaire. C’est brillant, c’est malin. On serait bête de ne pas s’y mirer. » Tout est dit.

En 2017, c’est au tour du violoniste René Costy d’avoir droit à sa compilation maison, fruit d’une collecte de 28 morceaux parmi les plus de 400 que Costy a écrits. Né en 1918 à Hammersmith en Angleterre, musicien d’obédience classique, professeur et grand amateur de jazz, son œuvre est restée assez confidentielle au-delà des frontières du royaume (et même à l’intérieur). Expectancy nous donne pourtant à entendre une musique profonde, narrative et très diverse, traversé d’influences jazz, tziganes ou soul. Une musique inclassable faite d’ambiances tout à la fois vaporeuses et explosives, finalement très cinématographique, qui fut samplée à plusieurs reprises par des cadors du hip hop (Jay Dilla, Jay-Z, Cypress Hill ou le Wu Tang Clan). Une vraie curiosité.

La même année, c’est une autre compilation, Let’s Get Swinging : Modern Jazz In Belgium 1950 - 1970, qui fait le buzz. Ce beau coffret (deux CD et un copieux livret) compile le meilleur du jazz belge des années 50 à 70 inspirées par le post-bop : Bobby Jaspar, René Thomas, Philip Catherine, Jacques Pelzer, Francis Boland, Jack Sels et bien d’autres. Un beau travail éditorial et une immersion musicale passionnante.

L’année suivante (2018 pour ceux qui suivent) est marquée par deux compilations de musiciens peu connus en France, Jack Sels et André Brasseur. C’est au tout début de l’année que Sdban exhume d’abord 13 perles oubliées d’André Brasseur (83 ans aujourd’hui), organiste belge méconnu en France (dont plusieurs titres ont connu un grand succès populaire dans les années 60). Baptisé Lost Gems From The 70’s, la compilation donne à entendre une musique simple et funky (comme dirait l’autre) basée sur des riffs accrocheurs, des envolées de cuivres et une rythmique souple et aérienne. Brasseur n’hésite pas à utiliser l’électronique alors naissante pour donner un petit côté kitsch et sucré à ses compositions. Tendance.

Jack Sels, quant à lui, est né en 1922. Le saxophoniste ténor à la gueule de hipster qui ne le savait pas, reste un musicien méconnu au-delà des frontières du royaume. Il bénéficie pourtant d’une certaine popularité chez nos amis d’outre-Quiévrain (en même temps qu’une certaine part de mystère). Autodidacte, il apprend le saxophone en allant écouter les musiciens afro-américains qui débarquent sur le port d’Anvers (sa ville natale que jamais il ne quittera). Auteur de quelques albums au cours de sa courte carrière (il meurt en 1970 à 48 ans), cette compilation intitulée Minor Works lui rend un hommage appuyé (et mérité) au travers de quelques perles, souvent rares et inédites, que le saxophoniste belge illumine de son style ardent, chaleureux et enlevé.

En 2020, à l’occasion d’un dossier sur le jazz en Belgique, plusieurs de nos rédacteurs ont chroniqué (et élu) certains albums Sdban sortis cette même année : Reykjavik du duo Glass Museum, Airships Are Organisms par le groupe John Ghost, Colour Talk par le pianiste Bram De Looze (membre du LAB trio), Esinam de la multi instrumentiste et chanteuse Esinam Dogbatse, Future Flora du combo Black Flower emmené par les deux soufflants Nathan Deems et Jon Birdsong.

Au printemps 2022, paraît une petite pépite avec l’album Stop, Look, Listen du pianiste américain (il est né en 1930 à New-York) Phil Raphaël sorti en 1972 sur le label Selection Records et réédité par Sdban en 2022. Accompagné par une batterie, une contrebasse et un vibraphone ainsi que par la chanteuse d’opéra Rose Thompson, il signe quatre compositions dans lesquelles se mélangent tous ses goûts musicaux : on y entend des réminiscences hispanisantes, quelques envolées free, du groove, du swing et quelque chose d’un spiritual jazz un peu suranné mais finalement très agréable. Quatre morceaux et puis s’en va. Quatre morceaux comme le testament musical d’un musicien resté sous les radars de l’industrie du disque mais dont le titre de l’album peut s’entendre comme sa philosophie de vie : s’arrêter, regarder, écouter. Prendre son temps et profiter, en quelque sorte.

On termine ce tour d’horizon avec deux albums sortis avant l’été sur le label Sdban Ultra. Dopamine Overdose est l’œuvre du jeune groupe bruxellois LũpḁGangGang (Anton Robberechts à la guitare et au chant, Miel De Koninck aux claviers, Lena Thijs à la basse électrique et au chant et Rob Swennen à la batterie). L’album hybride jazz, funk, hip hop et électro avec une belle énergie et un sens certain des nuances dans des compositions électriques qui lorgnent vers une pop atmosphérique.

Après un premier album remarqué en 2020 (le groupe « nous fait partir très loin avec pas grand-chose » dixit nos amis du Grigri), schroothoop (tas de ferraille en flamand, en référence au fait que les trois musiciens fabriquent eux-même leurs instruments) sortait en avril un deuxième album toujours aussi artisanal baptisé Macadam. Le groupe (Rik Staelens aux instruments à cordes et à vent, Timo Vantyghem à la basse et à la kalimba et Margo Maex aux percussions) a choisi de baptiser l’album ainsi en hommage à celui de Bruxelles, d’où proviennent la totalité des matériaux qui ont servis à la construction des instruments. Dans ce deuxième album, on retrouve toujours leur goût prononcé pour les mélanges, entre spiritual jazz et musiques d’ailleurs, avec un tropisme pour les musiques nord-africaines. L’ensemble étonne autant qu’il ravit.

Le label éditera plusieurs albums cet automne : dans l’ordre, The Cycle Repeats, le premier album du trio KAU (soit André Breidlid à la batterie, Matteo Genovese à la basse et Jan Janzen aux claviers) ; la compilation The Belgian Soundtrack : A Musical Connection Of Belgium With Cinema (1961 - 1979) ; le deuxième album du groupe John Ghost emmené par le guitariste Jo De Geest et intitulé Thin Air. Mirror Land ; et Maelstrom enregistré par le sextet azmari . À suivre donc.