Scènes

Jazz Week à Angers : le plein de musique

Une soirée enthousiaste durant la Jazz Week à Angers


Yoann Loustalot, photo Michel Laborde

Le long d’une semaine en novembre, Angers se met au jazz. Théâtre, salle de musiques actuelles, bistrot accueillent des formations variées dans la forme et le fond. Le jeudi soir un double plateau réunissant un solo de Cédric Piromalli et le Togetherness Pierrick Menuau Ensemble emporte l’adhésion du public par l’élégance, d’abord, et l’enthousiasme, ensuite, que les musiciens ont mis dans leur pratique. Il fallait y être. Nous y étions.

Porté par l’association Jazz Maine qui se démène pour faire vivre un jazz vivant, créatif et cosmopolite dans ses esthétiques, le programme de cette semaine va du musicien cubain Joel Hierrezuelo Quintet à l’électro-groove de Coccoliteen passant par la musique de Jimmy Giuffre interprétée par leChamber Trio du guitariste Nicolas Rousserie. De quoi répondre à toutes les attentes et montrer la diversité d’un genre qui déborde des cases.

Cédric Piromalli pose les mains sur le clavier du superbe Bösendorfer de la vaste scène du théâtre. Voici quelques années maintenant, il avait proposé un disque réussi, déjà en solitaire, entièrement consacré à Thelonious Monk (Yolk). On le sait cultivé, connaisseur et délicat praticien. Aucune inquiétude à le voir s’approprier, cette fois, les compositions de Billy Strayhorn.

Le toucher délicat et plein, les harmonisations jamais surchargées flattent les compositions de l’alter ego d’Ellington. Intelligence du propos et intemporalité du style jaillissent des doigts de Piromalli qui plonge dans les eaux connues sans retenue. Il en fait ressortir les mélodies, bien sûr, mais surtout la sensibilité et une mélancolie élégante. Un pont est jeté entre deux époques. La première est, désormais, du domaine de la légende, la seconde honore la première avec humilité et grâce.

Pierrick Menuau, photo Jeanne Davy

Togetherness est un disque signé Don Cherry et Gato Barbieri en 1966. En 2017, c’est le nom du groupe que dirige le saxophoniste ténor angevin Pierrick Menuau pour rendre hommage au répertoire et à ces musiciens. À cette époque, Santi Debriano est à la basse, Barry Alstchul à la batterie. Le projet, aujourd’hui, a évolué. Julien Touéry et Yoann Loustalot sont encore de la partie mais exit les Américains. Christophe Lavergne et Sébastien Boisseau ont intégré la formation et tiennent désormais la rythmique.

C’est un concert plein de musique. Plein de musique et de moments. On trouve, en effet, une vitalité qui déborde l’exécution stricte du répertoire et fait de la soirée un temps dense dans lequel se passent beaucoup de choses. La rythmique justement, habituée aux situations complexes, anguleuses de Cathala, Payen, Darche et consorts, trouve une immédiateté et un lâcher-prise dans les compositions très esprit sixties majoritairement signées de Menuau. Christophe Lavergne livre une prestation enthousiasmante dans laquelle le swing et l’ubiquité rythmique s’entrechoquent avec les rondeurs percutantes du bassiste.

Sur la gauche, comme à l’affût et prêt à se jeter sur le ring, Julien Touéry distribue la parole, soutient avec intelligence ou se lance dans les échanges avec force. Ça joue de partout, en réalité. Et les airs de connivence sont le signe d’une circulation des plaisirs et des recherches pour aller loin. La section des soufflants, bien sûr, n’est pas en reste. Yoann Loustalot, dans une approche moins intériorisée qu’à l’accoutumée, fait éclater le son de son instrument et défend son pupitre avec ténacité. Un échange long entre la trompette et la basse accroche particulièrement l’oreille. L’articulation des notes entre elles, les frottements des timbres entre le haut et le bas font de cette savoureuse petite complexité musicale un instant enlevé.

Quand à Pierrick Menuau qui défend le projet, entouré d’une telle équipe, lorsqu’il prend un solo, il ne joue pas. Ou plutôt, il joue peu. En réalité, il adapte son phrasé à ce que lui propose le groupe. Les espaces de silence qu’il privilégie sont le moyen de faire sonner l’ensemble, comme des arrangements spontanés qu’il intègre dans son discours, se contentant, et de quelle manière !, de souligner, relancer ou exhausser un déroulé collectif, dans un esprit hard-bop expurgé de formules toutes faites.