Scènes

Les Arches en Jazz : la troisième Manche

La troisième édition du festival Les Arches en Jazz s’est déroulée du 22 au 24 Septembre 2023.


Quand on arrive à un festival, c’est l’affiche qui attire l’œil des visiteurs. Que nous promet l’affiche de cette troisième édition des Arches en Jazz à Port-Bail sur Mer. Notre imaginaire nous entraîne vers la Côte des Isles au trésor. Un voyage de bonheur selon la légende des treize arches du pont, une résilience, un refuge ?

Organisé par l’association « Jazz et musiques en Cotentin », le projet autour du jazz, en ce délicieux début d’automne, se déroule sur les trois communes de Port-Bail sur Mer.

À peine arrivés sur le site, nous nous pressons à la salle Émile Jeanne de Saint Lô d’Ourville où les balances du groupe normand Black Pantone ont déjà commencé en compagnie des écoliers de Denneville. Le violoniste, Sébastien Guillaume, invité, doit s’intégrer dans cette entité complice depuis cinq ans même si tous ont un lien avec lui depuis le conservatoire du Havre. Après Ni d’Ève ni d’Adam le trio piano, contrebasse, batterie a signé son deuxième album Comme un gant en 2022. Il est aussi lauréat de deux prix, Des rives et des notes 2019 et prix du jury Golden Jazz Trophy 2021 sous la présidence de Kyle Eastwood.

Il nous faut, sans tarder, rejoindre l’ouverture officielle du festival et le discours d’accueil de Sébastian Danchin, un des organisateurs. Les rayonnages de la médiathèque de Portbail ont laissé la place au public nombreux et aux enfants venus écouter le trio familial de guitaristes, Trio Jourdan. Le père, Erik Jourdan, le fils Lucas et la fille Léa proposent un voyage revisité du baroque de Bach au rock de AC/DC. Nous traversons les époques à grands pas du jazz manouche avec une bossa du compositeur Romane, à un clin d’œil au Cirque Plume avec « L’autre, c’est le soleil » et une ballade irlandaise remarquablement incarnée par Léa Jourdan, « A Sailor Song » de Rickie Lee Jones. Le festival est lancé.

Nous retrouvons la salle Émile Jeanne pour le concert de Black Pantone. Après un début tout en douceur et tendresse avec la composition lyrique d’Antoine Bouchaud, « KO », Sébastien Guillaume, s’immisce subrepticement dans ce trio sacré dans « Olov’s Suite ». Il trouve sa place, engage un dialogue, interagit avec cet ensemble si complice en harmonie parfaite, s’éclipse et revient avec autant de discrétion que de talent.

Chacun des musiciens compose et les morceaux sont arrangés en collectif. Après avoir oublié les malheurs du monde dans « Sombre Framboise » écrit par le batteur Martin Mabire, le voyage se poursuit en Géorgie avec « Genatsvalé », comprenez « Bonjour ma petite chérie ». Puis le trio se reforme, chacun retrouve l’intimité de son instrument à la recherche du son exquis dans cette composition sensible d’Antoine Bouchaud, « Tiens, encore une ballade ». Ils jouent « Châtaigne » composition complexe de Clémence Gaudin « si difficile à jouer et si beau à écouter ». Au fil du concert, nos sens sont en éveil, l’énergique « Xeno Alien Virus » d’Antoine Bouchaud exalte le public qui se lève et applaudit à tout rompre. L’émotion du public gagne les musiciens.

Black Pantone © Gérard Boisnel

Le lendemain, samedi à midi, Triumviret, dans la magnifique église Notre-Dame, nous présente un ensemble peu fréquent au son baroque-jazz, contrebasse, violoncelle et trompette. L’ambiance familiale de ce trio, entendu en mai à Coutances est sereine. Au service de la musique, chacun compose, le trio arrange, c’est leur quatrième concert. Dès le premier morceau, l’expression du violoncelle solo d’Adèle Viret soutenue par la contrebasse du père, Jean-Philippe Viret et rejointe par la trompette suave du frère Oscar Viret répand dans l’assemblée une onde de beauté. Le registre n’est pas seulement académique, on entend un hommage à Yves Rousseau, ami du conservatoire, un air de valse musette en souvenir de leurs débuts d’accompagnants d’accordéonistes, de la poésie au virelangue frivole pour la joie de l’auditoire. Le son norvégien de la trompette d’Oscar plane et ondule dans la nef, « À la poursuite du soleil ».

L’après-midi, à la chapelle des marins de Denneville : « Fado ou pas ? » Ce moment est dédié aux musiques du monde. Chloé Breillot et Pierrick Hardy relient dans leur univers lusophone l’Atlantique à la mer de la Manche. La jalousie, la peine, le deuil, l’absence, tout est là. On aurait pu fondre en larmes, n’était la beauté des expressions de la chanteuse et son élan vers la joie et l’espoir. Le Brésil s’invite autour du compositeur Antonio Carlos Jobim dans le bouleversant « Retrato em branco e preto ». Amalia Rodiguez n’est pas loin non plus pour qui une belle chanson est une chanson triste. Le fado, c’est aussi le Fado Recusa, le refus, la prise de position même si la construction et la mélodie ne changent pas. L’applaudimètre est au sommet après l’interprétation d’une chanson chantée par sa grand-mère, l’immortelle « Fascination » . Le public se lève trois fois pour deux rappels. « Partir, c’est mourir un peu ».

Le samedi soir, moment très attendu, le trio Charlier-Sourisse-Winsberg, retentit à Saint-Lô d’Ourville. L’enjoué trio de quinze ans d’âge, les V.S.O.P ( « Very Superior Old Pals » ! ) du jazz, joue sa dernière création Le Monde à L’Envers. En hommage aux poseurs de rails aux USA, Benoît Sourisse revisite un worksong des Gandy Dancers, avec Louis Winsberg au vocodeur. Le Monde à l’Envers, c’est un clin d’ œil inversé à l’afro beat du compositeur « Fela avec quarante accords à la minute ! ». Le trio se laisse prendre à ses rêves et à ses idées fantasmagoriques et crée un second album modifié dans lequel vont intervenir des voix, des chœurs, d’autres instruments en commençant par le dernier morceau du précédent. Une nouvelle vie est offerte à une composition de Louis Winsberg autrefois recalée, « M’dout Masaï ». L’humour et la plaisanterie du trio charme l’auditoire qui reste pantois durant le majestueux et endiablé solo de batterie au rythme brésilien du final « Maracatu-Mangé ». Le public debout pour le rappel est remercié par un décoiffant hommage au compositeur cher à leur cœur Mickael Brecker, « Madame Toulouse ».

Benoît Sourisse, André Charlier, Louis Winsberg © Gérard Boisnel

Le Brass Dance Orchestra est en place pour l’incontournable et désormais traditionnel bouquet final du dimanche midi devant l’église Notre-Dame face aux treize Arches. C’est là que le voyage s’achève avec dégustation de vin blanc et d’huîtres locales.
Au gré du vent d’ouest qui s’engouffre avec malice devant le parvis à 4 voire 5 sur l’échelle de Beaufort, faisant voler les partitions. Les épingles accrochées aux pupitres n’y suffisent pas, les quatre garçons ne perdent pas leur joie de présenter leurs nouvelles compositions de musiques du monde. Ce « concept d’instrument à vent en plein vent », nous emmène en pays slave avec la trompette de Geoffroy Tamisier « Slava, oui le slave va bien ». Courageusement, les musiciens vont au bout de leur concert-combat contre Éole ; « Le vent » composé par l’accordéoniste Didier Ithursarry est, pour le coup, de circonstance.

Jean-Louis Pommier, Didier Ithursarry © Gérard Boisnel

Cette année, le festival les Arches en Jazz passe la troisième. Cette édition confirme son implantation dans le tissu local et social, avec des concerts payants mais aussi gratuits. Les artistes régionaux sont mis à l’honneur ainsi que l’ouverture à toutes les musiques.
Le public a salué la richesse de la programmation, le courage des bénévoles des plus jeunes aux plus aguerris, les exploits et l’excellence des techniciens. Les organisateurs annoncent une réussite très satisfaisante qui encourage la quatrième édition l’année prochaine le troisième week-end de septembre.