Abdullah Ibrahim 3
Still Hard Boppin’
Abdullah Ibrahim (p), Cleave Guyton Jr. (fl, picc), Noah Jackson (b, cello)
Label / Distribution : Gearbox Records
Les nombreuses classifications qu’a eu à subir Abdullah Ibrahim durant sa vie, dont celle de métis instaurée par la ségrégation raciale en vigueur dans le régime d’apartheid, n’ont pas eu raison de sa ténacité. S’il est l’un des symboles forts de l’Afrique du Sud, son art protéiforme exprime bien ce qu’est la persévérance ainsi que le refus de se laisser accaparer à des fins commerciales. Sa musique est bien trop puissante pour entrer dans une catégorisation : inspirée par le jazz américain, les chants originaires de sa région natale du Cap et par les airs traditionnels africains, elle brille par un alliage rare fait de spontanéité et d’universalité. A quatre-vingt dix ans, le pianiste revient sur le devant de la scène avec un album en trio qui célèbre tout à la fois les polyrythmies et la modernité musicale.
Cleave Guyton Jr. promène sa flûte et son piccolo alors que Noah Jackson se partage entre contrebasse et violoncelle. Cette formation chambriste apporte un éclairage neuf dans le répertoire varié d’Abdullah Ibrahim, les harmonies qui en découlent n’ont rien de stéréotypé, la grâce et les improvisations y demeurent indissociables. Le jeu délié au piano de « Barakat » initie la fable acoustique, celle qui va prendre d’innombrables visages, du son puissant de la contrebasse et des envolées de la flûte dans « Tsakwe », en passant par le mélodique « Krotoa - Crystal Clear » afin d’aboutir aux forces telluriques de la contrebasse dans « Ishmael » et « Giant Steps ». « In a Sentimental Mood » n’a jamais été énoncé aussi précieusement, Cleave Guyton Jr. a parfaitement mis en scène le renouveau céleste. Ces pièces musicales furent enregistrées avant le concert au Barbican Centre à Londres en juillet 2023 avec un format analogique sur un magnétophone Scully 1" et des microphones spécifiquement choisis pour cette exceptionnelle captation sonore.
Le soin apporté pour l’enregistrement du concert public bénéficie de la même qualité audiophile. Le rythme jouissif de « Nisa » et le minimalisme de « The Wedding » dévoilent deux facettes du pianiste ; quant à « Reprise 2 », avec sa délicieuse exposition du thème, il illumine ce disque. Soudain le fantôme de Thelonious Monk, indissociable de la personnalité d’Abdullah Ibrahim, ressurgit avec « Skippy » dont la sève se propage avec un swing impétueux.
La transcription de chapitres de l’histoire du jazz agrémentée de contemporanéité a pris corps dans cet album qui se clôt avec le bien nommé « Trance-Mission, The Sound Of Centuries Old Maritime Cargo… », chanté avec une voix qui procure des frissons. Encensé par Nelson Mandela et partenaire musical de Duke Ellington et Hugh Masekela, Abdullah Ibrahim continue d’embrasser toutes les musiques solennelles.