Force est de constater qu’Alain Gerber est non seulement l’écrivain homérique reconnu dans le monde littéraire, mais également un véritable jazzman empreint d’une connaissance ébouriffante de cette musique. Ses passions conjuguées pour le cinéma et la littérature lui ont forgé une culture exceptionnelle ainsi qu’une fine perception du quotidien dont beaucoup d’intellectuels devraient s’inspirer.
Écrire afin d’évoquer cet ouvrage enthousiasmant édité par Frémeaux & Associés ne peut que m’inciter à faire usage d’une immense modestie, a-t-on déjà vu un scribe analyser à tout va le travail d’un maître ? Cependant, mon désir de faire partager cette lecture me hante, tant l’ouvrage renvoie aux contradictions humaines et à la dialectique usitée dans le jazz, c’est pourquoi je prends ma plume du dimanche pour vous écrire ces quelques lignes.
Parisien vite adopté par une capitale qui se remet des évènements de mai 1968, l’auteur nous transporte dans des quartiers pittoresques qui le voient arpenter les rues, attiré comme il se doit par les boutiques d’instruments de musique. Certes, mais l’euphonium ou la cithare n’auront jamais un impact aussi démesuré que cet instrument hétéroclite fait de bois et de métaux, l’imposante et flamboyante batterie. Comme bon nombre de passionnés déraisonnables qui élaborent leur recherche du Graal, Alain Gerber nous conduit avec délicatesse dans ses nombreuses pérégrinations où les hauteurs de son des caisses claires et les vibrations des cymbales deviennent son pain quotidien. Les rencontres abondent, il n’y a pas que les nombreux musiciens présents dans ce livre qui deviennent des confidents, la vie familiale, l’Afrique, Belfort résonnent par des mots que l’auteur introduit avec sa clairvoyance éblouissante. Marie-Joséphine n’est jamais loin, compagne et complice de toutes les aventures, des nuits animées et des petits matins frais, pauvres ? Non, la richesse intérieure est implicite, enivrante.
Quant aux baguettes me direz vous, si elles simulent le prolongement des mains de cet écrivain batteur et donnent ce titre si malicieux au roman, elles n’ont jamais été aussi bien contées. Leurs différents matériaux, leurs poids d’une précision helvétique, leurs extrémités en formes d’olives de toutes saveurs, leurs longueurs et petitesses sous entendent un amour des rythmes syncopés. Mêlant ses expériences déconcertantes et son autobiographie, l’auteur fait ressurgir sur un ton humoristique bon nombre de scènes truculentes.
Les musicien·ne·s sur le devant de la scène occultent souvent la batterie alors que le public ambitionne de la voir. Le témoignage d’Alain Gerber, page 100, est révélateur de son sincère engouement, « La contemplation des batteurs, d’une façon générale, voilà ce qui me faisait courir et veiller jusqu’à l’aube ».