Chronique

Albert Vila

Levity

Albert Vila (g)

Label / Distribution : Hypnote Records

Guitariste barcelonais maintes fois récompensé pour son art de la composition, Albert Vila prouve dans Levity, son premier album solo, qu’il est également à son aise dans l’exercice périlleux de la relecture personnelle. Son appropriation des standards de la pop, du folk ou du reggae fait entrer dans ces thèmes que nous avons tous fredonnés un jour ou l’autre le doux frisson de l’inconnu, sans pour autant dénaturer leur essence. La raison : un art consommé de l’ellipse et une approche élégante qui savent redonner une nouvelle jeunesse à des compositions d’anthologie, qui vont de Carlos Jobim à Nick Drake en passant par George Shearing, auteur de l’inoubliable « Lullaby Of Birdland », que Sarah Vaughan a fait entrer dans la légende en 1954.

Premier prix du Dutch Jazz Competition et lauréat du concours Jazz Hoeilaart qui lui permettra d’intégrer dans la foulée le programme d’études supérieures de la Manhattan School of Music, un des établissements les plus prestigieux de New York (où il enseignera auprès de Dave Liebman), Vila a bâti une solide réputation de compositeur exigeant, bénéficiant d’une attention soutenue de la critique européenne, qu’il travaille en quintet, quartet ou trio. Sideman discret mais pertinent de Dave Douglas, d’Aaron Goldberg et d’Aaron Parks, il a décidé de mettre de côté les collaborations pour se recentrer sur la poignée de standards qui lui ont permis de tenir pendant la pandémie. À voir comme ces temps douloureux l’ont inspiré, il est heureux que Levity puisse aujourd’hui sortir de son anonymat pour apporter sa dimension thérapeutique à un large public.

Fluidité du jeu, climat chaleureux en partie dû à la sonorité capitonnée de la guitare West : l’album d’Albert Vila vous enveloppe dès les premiers accords. Sa narration tendre et diaprée, le rougeoiement intime de cette confidence chuchotée à l’oreille de sa six-cordes se veulent invitation au voyage baudelairien, dans un exercice d’admiration où l’affirmation d’une technicité sans faux-semblant évite tout superflu pour se pencher sur l’essentiel. Tout mélomane attentif aux précieuses alluvions qui demeurent après que le fleuve de la ressouvenance s’est écoulé dans les digues de notre mémoire collective vivra comme une offrande précieuse la sortie de ce disque élégant et sincère. Un moment d’authenticité dénué de fard.