Chronique

Jonathan Andersen

Tiny Grass Is Dreaming

Jacob Anderskov (p), Magnus Thuelund (as), Espen Laub Von Lillienskjold (dms), Jonathan Andersen (b).

Label / Distribution : Gateway Music

Dans la patrie d’Andersen, l’illustre écrivain qui faisait parler les chênes, existe un musicien qui fait vibrer les cordes et dont l’homonymie avec le grand conteur a de quoi troubler : Jonathan Andersen. Dans son Danemark natal, connu pour la fertilité de son patrimoine narratif et sa propension à fournir du levain à nos imaginaires, Jonathan est un « raconteur » né. Ce bassiste, compositeur et arrangeur marqué par l’œuvre de Dave Holland nous fait un beau cadeau avec Tiny Grass Is Dreaming, un album en quartet signé sur le label Gateway Music. Mis en confiance par la mystique solide d’un line up expérimenté, c’est avec un empressement délicat que l’auditeur tourne les pages de cet herbier sonore, cheminant sur un tapis moussu de notes fraîches et odorantes.

Rythmes enlevés et ballades apaisées (la très shorterienne composition « Woodcraft » en est un bel exemple) se succèdent avec un équilibre rare. Espiègle, mutine, la musique d’Andersen nous prouve que l’on peut dérouter sans faire peur, comme le montre la savante et décomplexée « A Muse Ment Business » qui rappelle les recherches audacieuses d’un Ornette Coleman. Quant à « Hello Gulina », aux sonorités proches du hard-bop de l’âge d’or, elle dégage la même tension évanescente que le « Calcutta Cutie » d’Horace Silver. C’est dire le niveau !

Abstraite sans être déroutante, la musique d’Andersen contourne avec tact les écueils d’une cérébralité de circonstance et nous mène entre surprises et ressouvenance dans un univers taillé pour la rêverie. Aboutissement d’un vrai travail de groupe où les mérites sont savamment partagés, Tiny Grass Is Dreaming doit son pouvoir d’attraction autant au talent de son leader qu’à la vitalité de ses camarades de studio. En effet, le saxophoniste alto Magnus Thuelund fait des miracles en utilisant son inséparable Buescher Truetone de 1929 pour fignoler un jeu au chromatisme assumé qui lui permet de sonder discrètement l’héritage de Lee Konitz, une de ses nombreuses influences.

Pour parachever ce tour de force mené tout en douceur, Jacob Anderskov, pianiste sensible dont la passion pour les univers éthérés de Paul Bley ou Marylin Crispell n’est un secret pour personne, contribue à fonder, en passant au filtre de la post-atonalité le souvenir des chansons danoises de son enfance, l’atmosphère si singulière de cet enregistrement.

Cet album aux rivages enchanteurs passe presque trop vite. Et nous voilà repartant avec l’absolue certitude que la force intranquille déployée par cette formation emportera l’adhésion du plus grand nombre grâce à sa virtuosité et son refus de tout esprit de sérieux.