Chronique

Gary Husband and Markus Reuter

Music Of Our Time

Gary Husband (p), Markus Reuter (g).

Label / Distribution : Moonjune

Gary Husband n’a plus rien à prouver. Ce multi-instrumentiste inspiré qui est sur le métier depuis son adolescence (il est le digne rejeton d’un couple d’artistes en vue dans les années 60) est l’homme des collaborations fructueuses, de John McLaughlin à Larry Coryell en passant par Billy Cobham. De la pop à la musique progressive en virant vers le jazz fusion, il n’est guère de domaine dans lequel ce claviériste subtil et batteur demandé n’a laissé son empreinte. Mais fort heureusement, de cet arpenteur inlassable d’horizons sonores à la discographie bien remplie, il y a toujours quelque chose à attendre. Plus de vingt ans après la parution de son premier album solo, l’onirique Diary Of A Plastic Box et quinze années après la belle aventure du Gary Husband Force Majeur, le combo qu’il avait formé avec Randy Brecker et le violoniste du Mahavishnu Orchestra (rien que ça !), le british dandy du jazz fusion a décidé de récidiver dans l’épure.

En témoigne, sur le label MoonJune, la parution d’un très beau disque enregistré à Tokyo en mars 2020, Music Of Our Times, situé quelque part entre les songes ouvragés de Paul Bley et les incantations du très Glassien Nils Frame. Gary Husband, qui aime s’entourer de valeurs sûres, a trouvé en la personne du guitariste allemand Markus Reuter, figure éminente de la scène ambient, inventeur de la Touch Guitar (guitare tactile), le comparse idéal pour faire naviguer l’auditeur dans les profondeurs de ses improvisations lyriques. Délaissant un temps les convulsions esthétiques du jazz fusion, Husband a opté pour une veine plus minimaliste qui enveloppe l’auditeur en quête d’apaisement dans un climat azuré, accalmie plus qu’appréciable dans nos temps frénétiques.

Ondoyantes, minérales, les arabesques sonores que ces deux terreurs de studio tricotent ensemble avec une complicité rare nous coupent de toute pesante réalité. Le dialogue entre les deux solistes est fin, serré, subtil, tout en laissant à l’auditeur l’espace suffisant pour faire papillonner son imagination au gré de six morceaux à l’irrésistible délicatesse. Aux aguets, au taquet, les deux enchanteurs de cette Brocéliande aquatique s’en donnent à cœur joie pour nous faire profiter de leurs pérégrinations. « Colour Of Sorrow » l’extatique, « Across The Azure Blue » la comptine déstructurée à qui la distorsion bien planante de Markus l’alchimiste des six cordes donne des teintes crépusculaires, ou encore la très jarrettienne composition-titre du disque et ses nappes de synthétiseur. Toutes ces variations sur le même thème offrent un menu varié où la technicité la plus aboutie est toujours au service d’une émotion pénétrante. Si l’ombre de Robert Fripp n’est jamais loin (Mark Reuters a participé en 2014 au Crimson ProjeKCt à la demande expresse du maître de la scène progressive des années 70), le vocabulaire inauguré par les deux complices est d’une inventivité véritable. Il propose sans l’imposer une gamme d’émotions qui saura satisfaire des envies d’ailleurs tout en ménageant dans ce monde une halte salutaire. Indispensable.