Chronique

Anne Paceo Triphase

Empreintes

Anne Paceo (dr, voc), Leonardo Montana (p), Joan Eche-Puig (b)

Label / Distribution : Laborie Jazz

On prend les mêmes et on recommence ! Et on a bien raison, car le nouvel album du trio d’Anne Paceo vient confirmer le talent d’une jeune batteuse - 26 ans – dont le beau palmarès [1], s’enrichit encore. Le grand Charlie Haden s’est même fendu d’un compliment à son sujet : « Je peux dire avec conviction qu’elle fait partie des meilleurs musiciens à qui j’ai enseigné la musique. Son style personnel et son jeu si particulier font d’elle une musicienne unique ». On le croit volontiers à l’écoute d’un disque qui confirme en tous points les qualités du précédent, justement récompensé, et dont Citizen Jazz avait souligné la réussite. Rappelons enfin qu’Anne Paceo a été récemment sélectionnée pour tenir la batterie au sein de l’European Youth Orchestra 2010.

Anne Paceo marque donc l’année 2010 de ses Empreintes, deuxième album en trio, pour proposer une musique pétillante, gourmande et colorée qui, comme nous l’avions remarqué l’année dernière, lui ressemble beaucoup. Tant du point de vue graphique que musical, ce disque se présente d’ailleurs dans l’exacte continuité de Triphase (2008). Toutefois, les mines presque interrogatives laissent cette fois la place à de malicieux sourires, et donnent au premier coup d’œil une idée de ce que le trio nous réserve. Anne Paceo signe ici la majorité des compositions, confiant la paternité des autres à son pianiste, Leonardo Montana [2]. Et si cette fois, Joan Eche-Puig [3] n’apporte pas de contribution personnelle, sa contrebasse s’insinue avec bonheur dans cette danse festive.

Souvent on attend avec inquiétude un deuxième roman, un deuxième film. On prétend même qu’on est toujours déçu. Avec Empreintes, le doute est levé dès les premières mesures : elles affichent la communion entre les trois musiciens dans l’introduction - baignée de lumière - d’un « Poutchoum » empreint – justement – d’une joie de vivre communicative et qui démontre un sens aigu de ce qu’il faut bien appeler l’évidence mélodique. Quant au final, surligné par la voix d’Anne Paceo, ce n’est rien d’autre que l’expression radieuse de la jubilation des trois musiciens. Les thèmes se succèdent avec beaucoup de grâce et si le terrain nous semble connu (rappelons-le, Empreintes est la suite naturelle de Triphase), la partition jouée ici est d’une éclatante densité. Un bienfaisant rayon de soleil dans la grisaille du quotidien. La vérité d’une amitié, de la complicité entre trois artistes décomplexés qui apprécient le bonheur de s’exprimer ensemble.

Anne Paceo offre à son trio un subtil terrain de jeu où la conversation entre les instruments est guidée à chaque seconde par la recherche d’un équilibre entre pulsion et mélodie. Cet échange prend parfois la forme d’un dialogue, mais toujours d’égal à égal(e), où l’écoute et le respect dévoilent tout l’art du trio. Hors de question qu’un musicien écrase les autres : le rôle de chacun est de participer à une construction harmonieuse. On est heureux aussi qu’Anne Paceo s’empare avec une gourmandise mutine d’un instrument – la batterie – que les hommes avaient jusque là confisqué. Une composition telle que « Noun », pour n’en citer qu’une, lui permet de mettre en évidence ses qualités inventives et la richesse de son vocabulaire. Pas la moindre tentation d’en faire trop - rien que la volonté de propulser avec fougue et élégance une musique constamment chantante et frappée au sceau de la mélodie. Chanter, Anne ne s’en prive pas, d’ailleurs, enluminant à plusieurs reprises son jeu de discrètes vocalises, jusqu’aux notes finales de « Sérénité ».

Ces belles Empreintes, méticuleusement relevées par la prise de son soignée de Pierre Bianchi au studio Laborie, sont délicates et entêtantes. Elles témoignent d’une réjouissante maturité en traduisant de manière lumineuse le plaisir qui a dû conduire les trois musiciens à un tel résultat, et qui n’est pas affaire de gros bras, mais avant tout d’énergie et de vibration.

par Denis Desassis // Publié le 16 décembre 2010

[1Quelques noms prestigieux avec lesquels elle a déjà travaillé, comme étudiante ou comme sidewoman : Sunny Murray, Christian Escoudé, Jean-Marc Jaffet, Stéphane Guillaume, Géraldine Laurent, Dré Pallemaerts, Glenn Ferris, Hervé Sellin, Riccardo Del Fra, François Théberge, Rhoda Scott, Henri Texier, Rick Margitza, Julien Lourau, Pierre De Bethmann, Alain Jean-Marie, Yaron Herman…

[2Brésilien, Montana joue dans le groupe de Felipe Cabrera avec entre autres Orlando Poleo ou Lukmil Perez. Il se produit également aux côtés de Raul de Souza, Edmundo Carneiro, Irving Acao, Umberto Pagnini, Chico Freeman, Marcia Maria…

[3Membre d’Ode Paname, du Julien Lallier Quartet, du Carina Salvado Trio… Eche-Puig a aussi joué avec Jérôme Barde, Glenn Ferris, Géraldine Laurent, Olivier Temime, Sangoma Everett, La Velle, Laurent Dehors, Didier Lockwood…