Chronique

Soft Machine

NDR Jazz Workshop - Hamburg, Germany, May 17, 1973

Roy Babbington (b), Karl Jenkins (ob, ss, ts, rec, elp, p), John Marshall (dr), Mike Ratledge (elp, org), Gary Boyle (g), Art Themen (ss, ts), Hugh Hopper (bass, tapes)

Label / Distribution : Cuneiform Records/Orkhêstra

Soft Machine fait partie de ces groupes historiques dont les archives sonores sont nombreuses et régulièrement enrichies, pour la plus grande joie de ses inconditionnels. Les mollomécaniciens [1] de tout poil peuvent se réjouir : on a exhumé voici quelques mois un nouveau témoignage de sa belle créativité, capté à Hambourg au printemps 1973, preuve supplémentaire du bouillonnement qui caractérisait ses prestations scéniques. Un bonheur ne venant jamais seul, cette nouvelle archive propose un CD pour la version audio du concert et un DVD pour la version vidéo, elle-même complétée de deux autres extraits - uniquement sonores.

En 1973, Soft Machine continuait à s’éloigner de son univers originel, mélange heureux et parfois foutraque de rock et de jazz, croisé de toutes les inventions débridées propres au grand Robert Wyatt, qui en était le batteur, pour avancer sur le terrain d’un jazz plus conventionnel mais riche du talent de ses acteurs. Un virage amorcé avec Fourth (1971), où la présence d’un Wyatt déjà habité par d’autres projets ne semble plus pouvoir contrecarrer une évolution vers une musique plus clinique. Une apparente froideur que bien des admirateurs de la période originelle ne manqueront pas de reprocher au groupe. A tort certainement, car en réalité naissait tout en douceur un autre Soft Machine, une sorte de successeur plus sage par certains aspects, mais tout aussi virtuose dans l’interprétation et capable d’envolées séduisantes. L’année suivante, 5 [2] confirmera cette orientation : Soft Machine tourne définitivement le dos à son versant surréaliste pour ancrer son propos dans un jazz plus sérieux, nourri néanmoins de climats hypnotiques grâce aux claviers de Mike Ratledge et à la basse de Hugh Hopper, qui font l’originalité du groupe depuis les premiers temps.

Sur NDR Jazz Workshop, le line up du groupe est celui de Seven, [3] : Roy Babbington, Karl Jenkins [4], John Marshall et Mike Ratledge, avec pour l’occasion le renfort du guitariste Gary Boyle [5] et du saxophoniste britannique Art Themen. On retrouve Hugh Hopper le temps d’un fascinant et sériel « 1983 » [6]. On voit donc que Ratledge est alors le seul rescapé du Soft Machine originel ; Karl Jenkins, arrivé quelques mois plus tôt, y occupe une place majeure et se présente comme le deuxième maître à bord. Tous deux signent la quasi-totalité des morceaux et les solos de Jenkins - au saxophone soprano ou au hautbois - sont pour beaucoup dans la couleur de la musique.

Le répertoire, ce 17 mai 1973, recouvre pour l’essentiel celui de l’album Six, enregistré entre octobre et décembre 1972. Aucune nouveauté, si ce n’est la guitare volontiers volubile de Gary Boyle [7] ; avant tout, on a ici un témoignage passionnant d’une musique malgré tout libre et débridée, et dont on doit d’autant plus souligner la qualité qu’il signe lui-même la fin d’une période. En effet, si 1973 est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de Soft Machine pour les raisons évoquées ici, les années suivantes seront moins convaincantes : jamais le groupe ne retrouvera le même niveau d’inspiration. Il poursuivra son évolution, certes, mais vers un jazz-rock de plus en plus impersonnel [8], tel qu’il sera proposé à travers des albums comme Bundles (1975) ou Softs (1976). Raison de plus pour ne pas se priver de ce NDR Jazz Workshop, intense de bout en bout. Une pépite à conserver précieusement.

par Denis Desassis // Publié le 7 février 2011

[1On nous pardonnera ce néologisme désignant les aficionados de la Machine Molle.

[2Qui voit l’arrivée de John Marshall et Roy Babbington dans sa seconde partie.

[3Enregistré en juillet 1973, Seven s’avèrera au fil du temps comme un disque particulièrement réussi dans l’histoire de Soft Machine.

[4Qui a remplacé le grand Elton Dean.

[5Par ailleurs membre fondateur du groupe Isotope.

[6Cette longue et belle composition est ici un bonus audio du DVD.

[7La guitare électrique avait déserté la musique de Soft Machine après le départ de Kevin Ayers, présent sur le premier album.

[8Cet affadissement coïncide semble-t-il avec le départ de Mike Ratledge, qui ne joue plus qu’un rôle résiduel sur Bundles.