Chronique

Armonicord

Libres

Rachid Houari (dm), Jouk Minor (bs, sopranino), Jean Querlier (as, ss, hautbois), Joseph Traindl (tb)

Label / Distribution : Fou Records

Le groupe Armonicord, coaché par Jouk Minor, eut moins de popularité en France que le Cohelmec Ensemble ou le Dharma qui enregistrèrent plusieurs albums durant les années 70. Trois musiciens qui œuvrent dans Libres, enregistré en public le 26 octobre 1975 par Francis Baltazar, Jouk Minor, Jean Querlier et Joseph Traindl, participeront par la suite à l’album « Enfin la mer », sorti en 1978 et dont il demeure une vidéo, jointe à cette chronique. Éphémère comme le furent de nombreux collectifs de free jazz dans la France giscardienne, Armonicord avait de l’énergie à revendre ; cela s’entend d’emblée dans ce disque inédit.

C’est lors de la première édition du Festival indépendant de Jazz de Massy, co-organisé par Gérard Terronès et Raymond Boni, qu’Armonicord monte sur scène. La banlieue parisienne avait subi une métamorphose radicale après-guerre avec les constructions de grands ensembles ; Massy était pionnière de ce concept architectural et la musique d’Armonicord n’y est pas insensible.

Rachid Houari est un batteur subtil qui a fait ses preuves aux côtés de Daevid Allen et de sa planète Gong. Son jeu inspiré s’entend sur le premier album de Gong, Magick Brother où il est présent sur toutes les pistes, ainsi que sur le très énergique Continental Circus. Toujours avec Gong, il joue des congas sur Flying Teapot en 1973, année de son décès.
Jean Querlier a ouvert des horizons nouveaux dans cette période où les saxophones hurlaient comme jamais. Il pratique le hautbois avec aisance, mais également le cor anglais et la flûte en plus de ses saxophones alto et soprano. On le retrouvera dans Arkham et le superbe Chroniques terrestres, albums du groupe Confluence que dirigeait Didier Levallet. Il anime les disques de René Bottlang, Christian Escoudé, du Big Band Machi Oul, d’Areski/Fontaine, de Clivage, du Drame Musical Instantané, preuve de son éclectisme musical. Joseph Traindl, venu d’Autriche, s’est fait un nom en collaborant avec le groupe avant-gardiste Reform Art Unit et sa participation au disque Opium For Franz aux côtés de Franz Koglmann et Steve Lacy. Jouk Minor est un touche-à-tout qui s’illustre dans de nombreux albums avec Michel Portal, Alan Silva, Eje Thelin… Il est influencé à cette époque par John Surman et son trio, ce qui n’est pas étranger à son choix du saxophone baryton.

Jouk Minor signe les deux compositions d’une vingtaine de minutes chacune. « Contact » s’inscrit dans les fulgurances héritées de Don Cherry et Peter Brötzmann. Le contraste est marqué entre la sonorité grave du tromboniste qui vise à ponctuer la cavalcade effrénée des registres aigus des deux saxophonistes. Le batteur est à son aise et apparaît comme un digne successeur de Sunny Murray et Steve McCall, qui ont l’habitude de se produire à Paris. « Un Goût de Rouge » est orienté par des multiphonies qui s’intensifient crescendo avec le duo hautbois et sopranino. Toutes ces superpositions instrumentales donnent l’occasion au batteur d’exposer l’étendue de sa frappe polyrythmique.

Un texte écrit par Steve Lacy, parisien d’adoption, et publié en ouverture de la plaquette « Free sons » du programme de ce festival de Massy, agrémente cet album.
L’édition de Libres est due à Jean-Marc Foussat qui, avec son label Fou Records, nous replonge dans une époque charnière pour les musiques improvisées hexagonales.