Ben LaMar Gay
Certain Reveries
Ben Lamar Gay (tp, voc, synth), Tommaso Moretti (dms)
Label / Distribution : International Anthem
Le travail du trompettiste et électronicien Ben LaMar Gay est à apprécier en connaissant globalement le travail de l’artiste. On a tôt fait de le ranger dans la catégorie des sidemen de luxe pour Mike Reed, Makaya McCraven, Damon Locks ou jaimie branch. Le membre de l’AACM a aussi un univers bien à lui, et c’est peu de dire qu’il est riche et surprenant : on avait pu goûter la diversité de Downtown Castles Can Never Blocks The Sun, paru en 2018 sur le label International Anthems, puis sur le plus sombre Open Arms to Open Us paru sur le même label en 2021, où l’on retrouvait Tomeka Reid. La fidélité paie, puisque c’est toujours National Anthems qui publie Certain Reveries, un duo avec le fidèle batteur Tommaso Moretti avec qui il partage aussi le trio Bottle Tree. Une plongée en un univers onirique fiévreux et alcalin, comme en témoigne « You Ain’t Never Lied », morceau inaugural où s’impose une litanie qui ressemble à l’appel d’un muezzin altéré par l’électronique et les boucles imparfaites. Une voix le chasse, profonde et intrigante, portée par une batterie solide.
On nage dans l’incertitude et les courants contraires, loin de la puissance free dans laquelle on a trop vite rangé le trompettiste. Évidemment, il y a des prises de parole tranchantes du cuivre, à l’instar de ce que l’on entend dans « Parade Debris », dans un dialogue trompette/batterie référentiel, proche de ce que l’on peut entendre chez Don Cherry et Ed Blackwell, voire plus récemment entre Taylor Ho Bynum et Tomas Fujiwara. Mais il faudra la tension vaporeuse d’un « The Bioluminescence of Nakedness » pour retourner dans une musique très abstraite, très personnelle et percluse d’électronique, où le silence est partie prenante, supplanté par un clavier au feulement électrique où émerge une trompette impeccable. Toujours aux franges de l’étrange, les directions prises par Ben LaMar Gay et Tommaso Moretti sont radicales et poétiques.
Little LaMar in Slumberland [1], voici comment aurait pu s’appeler ce disque entêtant et addictif. Avec « Skin », un des morceau les plus longs de cet album, on touche à ce que Ben LaMar Gay recherche : une électronique sensuelle, charnelle et brûlante qui dépasse tous les cadres et peut même aller chercher quelques rhizomes pop, bien aidée en cela par un batteur volcanique. On pensera au travail électronique du batteur Gerald Cleaver sur Griots, mais les choix de Ben LaMar Gay interrogent un propos bien plus urbain, plus marqué par des esthétiques nées des machines à Détroit. Certain Reveries est d’une beauté suffocante, qui peut déranger et heurter ; mais c’est ce qui en fait le charme indéfinissable.