Chronique

Carrier / Lambert / Bozek / Gadecki

Wide

François Carrier (as), Tomek Gadecki (ts), Marcin Bozek (b, fh), Michel Lambert (dms)

Label / Distribution : FMR-Records

Retrouver Michel Lambert et François Carrier, c’est comme prendre des nouvelles de vieux camarades. Les Québécois nous gratifient de leurs voyages, presque à période fixe, mais ce ne sont pas de simples cartes postales. L’échange est plus long, plus ancré, s’installe dans la durée. On les avait entendus seuls, avec de vénérables Anglais, puis avec un Russe et un Polonais, pour un bout de route important. C’est dans ce coin que l’on reste, puisque le saxophoniste et le batteur se plaisent. Et après Rafał Mazur, ce sont deux Polonais, Marcin Bożek et Tomek [1] Gadecki , qui viennent passer du temps avec la fine équipe sur des routes spacieuses et cependant pleines d’embûches et de calades. Ils se sont bien trouvés : le premier joue d’une basse sèche comme schiste au soleil mais ne rechigne pas à passer au cor. Le second domine un sax ténor fiévreux, épais et inexorable comme une coulée de lave. C’est le sujet du long « Wide ».

Bożek et Gadecki jouent ensemble depuis longtemps - leur duo se nomme Olbrzym i Kurdupel - et ce n’est pas le moindre de leurs points communs avec les Canadiens. L’alchimie marche immédiatement, et le terrain, si instable soit-il, est largement cartographié par le quartet. C’est sensible dans « Leeway » qui prend le temps de s’installer dans un dialogue entre les saxophones. Le résultat est tendu, mais pas en totale opposition, même si Carrier se lance à l’assaut du jeu paradoxalement plus calme de Gadecki. La relation entre les soufflants s’articule, a fortiori quand Bożek vient ajouter son cor à la profusion, en rupture avec les interventions très sèches de sa basse. Il y a comme une tranchée dont est responsable le bassiste ; une rupture collective dont il est le pivot.

Dans l’affaire, Michel Lambert est le moins versatile. En tout cas celui qui tient farouchement la maison. Dans tous les allers-retours, dans tous les renversements, il est présent, sensible et attentif. Lorsque la basse se manifeste, il l’accompagne d’une rafale. Lorsqu’il est assailli par les soufflants, il se fait davantage musical, ainsi sur « Radiancy », morceau plus court mais on ne peut plus foisonnant derrière un calme qui sait se rompre en un mouvement. On est heureux d’avoir des nouvelles de Carrier et Lambert, toujours. Leur discographie commune, principalement documentée par FMR Records, est parmi les plus cohérentes et les plus riches du moment dans une discrétion qui mériterait davantage d’enthousiasme de ce côté-ci de l’Europe. Surtout lorsque les cousins d’Amérique nous font la leçon et nous sortent de nos zones de confort à la rencontre d’un eldorado polonais qu’il convient de visiter prestement, tant l’offre semble riche.

par Franpi Barriaux // Publié le 21 juin 2020
P.-S. :

[1Ou Tomasz, c’est selon.