Chronique

Benoît Delbecq 3

Ink

Benoît Delbecq (piano), Miles Perkin (cb), Emile Biayenda (dm)

Label / Distribution : Clean Feed

Voilà cinq ans, The Sixth Jump était parvenu à poser les jalons d’une configuration triangulaire parfaitement originale, l’étrangeté du jeu du piano y trouvait une complémentarité stimulante dans les propositions du batteur (Emile Biayenda déjà) et du contrebassiste Jean-Jacques Avenel disparu l’année dernière. Ouvrant Ink par une composition dédiée à cet ami et maître, Benoît Delbecq revient aujourd’hui avec une nouvelle formation qui se situe dans la parfaite continuité de la précédente.

L’arrivée de Miles Perkin ne bouscule en rien l’équilibre. Sa proximité avec la sonorité de Avenel et sa compréhension intime des conceptions de Delbecq sont même le moyen de fouiller le périmètre circonscrit dans lequel évolue ce dernier et creuser plus profondément quelques-unes de ses obsessions. Les percussions démultipliées de la batterie, du piano préparé et des cordes bricolées de la basse contribuent notamment à tresser des tapis rythmiques obsédants d’une grande lisibilité (“Le ruisseau”). Cette rencontre troublante entre l’africanité (dont Biayenda est le garant) et le travail raffiné - voire stylisé - sur les timbres, propulse constamment les musiciens en avant et sollicite toute la verticalité du son, des profondeurs des basses aux envols cristallins des aigus.

Car, solidement installée sur ces appuis, la main droite de Delbecq libère toute sa créativité et par des lignes brisées, des angles convexes, des intervalles surprenants mais toujours fluides donne libre cours à un imaginaire qui, comme toujours, déstabilise les habitudes d’écoutes de l’auditeur. Malgré des compositions dont les articulations restent encore de l’ordre de la mécanique de précision, une décontraction inédite semble poindre toutefois et adoucir la cérébralité de ces dispositifs.

Des mélodies dépouillées mises au service d’une sensibilité immédiate jaillissent à présent sous les doigts du pianiste (“Family Trees”) tandis que sur “Colle et acrylique”, le trio traverse, lors d’incursions ludiques et lumineuses, le miroir éclaté d’une swing plus traditionnel. Cette malléabilité démontre, s’il en était besoin, à quel point Delbecq peut s’adapter à toutes les situations en conservant ses spécificités mais surtout entériner son ancrage dans le jazz et travailler à son légitime prolongement.