Chronique

Riquelme & Ulzion

La trahison des mots

Matias Riquelme (violoncelle), Fernando Ulzion (ss, as)

Label / Distribution : Fundacja Słuchaj

Bien que ce disque soit entièrement composé de standards (« A Foggy Day », « Round Midnight », « Prelude to a Kiss », etc.), vous n’entendrez pas ici une note de jazz. La Trahison des mots peut même être envisagé comme la transposition musicale de la peinture de René Magritte La Trahison des images. Rien de fumeux là-dedans toutefois. Les thèmes abordés servent de prétextes ou de sous-textes, bref de carte de route ou de carte d’humeur à deux musiciens qui ont, en réalité, fait le choix de la musique improvisée pour donner corps à leur sensibilité

Enregistré en duo par le violoncelliste français Matias Riquelme et le saxophoniste espagnol Fernando Ulzion dans l’église d’Apodaka, petite village du Pays Basque, le répertoire déroule une succession de pièces qui jouent sur la résonance du lieu. En étirant les sons ou en donnant un impact décuplé au claquements de langue ou aux frappes de l’archet, les instruments sont amplifiés naturellement et exploitent cette puissance nouvelle pour jouer sur l’amplitude des grains de la matière.

La complicité qui lie les musiciens permet de déjouer néanmoins une des erreurs de cette musique : la quête lente et parfois vaine d’une forme à modeler. L’entente est immédiate et le duo se positionne spontanément dans la construction d’une ossature souple qu’ils articulent en un échange permanent quoique toujours respectueux de l’autre. De là, cette sensation de mise en espace qui n’est pas seulement due à la dilution du son dans le bâtiment religieux.

Le partage des tâches se fait de manière subtile. Au violoncelle, souvent les fonctions pulsatiles s’étirent en basses pleines et désaxées, au saxophone la virtuosité aérienne et métallique monte haut et revient se fracasser dans les cordes de son partenaire. Des paysages surtout se dessinent. La palette des couleurs est riche de nuances et déborde de la dualité des voix au bénéfice d’une entité homogène. Le disque appelle plus d’une écoute et mérite mieux que cette chronique qui trahit, à son tour, les multiples ressources de son contenu .

par Nicolas Dourlhès // Publié le 15 novembre 2020
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