Chronique

Urs Leimgruber & Jean-Marc Foussat

Face to face

Urs Leimgruber (s), Jean-Marc Foussat (keyb, elec, fx, voc)

Label / Distribution : FOU Records

Enregistré lors de deux concerts à Zurich et Lucerne, ce double disque témoigne de la rencontre (ancienne et amicale mais aujourd’hui gravée) entre le Suisse Urs Leimgruber et le Français Jean-Marc Foussat. Au premier, la mécanique cuivrée traversée par le souffle des saxophones soprano et ténor, au second la machine rétro-futuriste du synthétiseur AKS. Deux mondes, pourrait-on croire, que tout oppose et qui se font “face”, l’un lointain descendant de la flûte archaïque, l’autre prototype seventies des futurs sons numérisés qui nous inondent aujourd’hui. Ce serait compter sans la volonté farouche qui les anime d’investir le territoire sonore comme une friche sur laquelle toutes les fleurs peuvent pousser, y compris les plus vénéneuses.

En quelque quarante minutes par set, le duo prend le temps de faire gonfler un geste musical qui agglomère les individualités dans un horizon commun sans jamais les nier. Ainsi retrouve-t-on le timbre acéré de Leimgruber, douloureux parfois jusqu’à inciser profondément le tympan et qui a fait florès chez les grands improvisateurs des décennies passées (citons Joëlle Léandre, Steve Lacy, Barre Phillips). Cette manière unique d’aiguiser les aigus puis les fendre en scintillements métalliques marque la volonté d’embrasser pleinement tous les possibles quand il les projette dans le grondement des graves. Il y laisse autant de coups de griffes à la surface de cette gravure tourmentée.

De même les agencements synthétiques de Foussat prennent vie autour de petits personnages sonores invités (grenouilles, chiens, écoulement d’eau) qui perturbent la vaste fresque qui dérive dans le fond de la toile. La force de ses interventions réside d’ailleurs dans le fait de convoquer ces éléments de musique concrète sans que jamais cela ne choque. Mieux, elles ne sont en rien cinématographiques mais pleinement musicales.

S’inscrivant dans un déroulé implacable, elles se structurent autour ou dans le prolongement des saxophones de Leimgruber qui par son implication semble être le centre de carène de cette embarcation qui navigue selon le bon vouloir de ces marins d’eau trouble. Ne se laissant, en effet, jamais emporter par le jeu, ils prennent le temps de se diriger vers des contrées intrigantes et semblent donner à cette musique un devenir prédéfini qui prend pourtant forme dans l’instant.