Scènes

Bouts de fer ! Papier d’verre ! Fûts de bière !

Le cri de ralliement des Urbs a retenti sur la scène du LULL. Vous vous demandez ce que cela veut dire ? Par ici…


LULL : Lutherie Urbaine - Le Local. Ce lieu au nom ailé, en bordure de Bagnolet, à deux pas du métro Gallieni, est depuis dix ans le laboratoire où se concocte une surprenante cuisine musicale au goût étrange venu… d’ici.

Accommodeurs de restes, les Luthiers Urbains. Récupérateurs compulsifs. Sous la houlette de Benoît Poulain, ils fabriquent siliçophones, hypersonors et autres aqua-congas à partir des déchets urbains que nous connaissons tous : tuyaux de PVC, entonnoirs en plastique, pieds de parasol, petites cuillères, roues de vélo… Mais attention : foin du « manche à balai - pot de yaourt » cher aux MJC des années 80. Nous parlons d’instruments de musique à part entière. Ici, on voit la ville comme un écosystème, la musique comme une force vitale, les objets jetés comme autant de ferments de créativité. Mais on reparlera plus en détail de la Lutherie Urbaine dans ces colonnes.

Aurélie Pichon et la gueularde © Hélène Collon

Lundi 7 décembre 2009, le LULL inaugurait l’exposition d’Anne Cotrel « Evocations africaines » [1] : des fusains - superbes portraits vivants -, des huiles, quelques aquarelles - scènes de vie quotidienne - , un carnet de voyage croqué au fil du périple mozambicain des Luthiers, qui avait donné naissance en 2004 au CD-DVD Nhanssalá. Autre exposition mixée avec la précédente : « Lutherie inouïe » présente quelques-unes des créations instrumentales de la maison.

Mais au LULL, il n’est pas de soirée sans musique. Place, donc, aux Urbs, « ensemble instrumental attitré » de la Lutherie Urbaine, et aux compositions de Jean-Louis Méchali, fondateur et âme du LULL. Mélange savoureux de jazz contemporain (au sens libre du terme) et de rythmiques communicatives, cette musique a le don de vous faire danser dans votre tête - même sur des métriques impaires - et de vous accrocher aux lèvres un sourire permanent. A quoi cela tient-il ? A des thèmes qui groovent. A des interprètes qui sont à fond dans ce qu’ils font. Aux timbres inattendus d’un instrumentarium très visuel. A Tatiana Ehrlich, chanteuse effrontée, enjouée et douée d’un flow enviable. A Aurélie Pichon, remarquable improvisatrice à la « gueularde » (intermédiaire entre clarinette basse et sax baryton, avec un pavillon fait d’un entonnoir et une figurine d’Astérix surmontant la clef d’octave). A Mathias Desmier, drolatique en George Benson de la « mandol’urb » (un corps de violon, un manche de guitare). A Lauris Gherardi et Alain Guazzelli, percussionnistes multicartes sautant de la « dormeuse » (une batterie impossible à base de tambourins, couvercles et feuilles métalliques) à ce marimba fait de descentes de gouttières que l’on frappe avec des raquettes de ping-pong, ou arrachant à un bidon une gerbe d’étincelles rythmiques à coups de meuleuse à béton…

Vous l’avez compris : ça ne se prend pas au sérieux une minute, et pourtant les Urbs sont loin d’être des plaisantins. Les influences africaines sont toujours présentes : la plupart des thèmes joués ce soir sont repris de l’album Liboma Minghi, réalisé avec des musiciens de Kinshasa, et leur vitalité bouillonnante, jubilatoire, s’en ressent.

Sophia Domancich et le Pianocktail © H. Collon

Le spectacle s’achève avec l’Orchestre Départemental de Jazz, ensemble d’amateurs dirigé - en sound painting - par François Merville, sur une composition de Jean-Louis Méchali pensée pour cette formation que renforcent plusieurs membres des Urbs. Juste assez longue pour permettre une construction en mouvements alternés et laisser une part à l’improvisation, juste assez courte pour ne pas risquer le bavardage. Et toujours cet esprit frondeur, têtu et joyeux qui rappelle Mingus et ses workshops.

La Lutherie Urbaine fêtera son dixième anniversaire avec une gerbe de projets : un DVD va sortir et les répétitions commencent début janvier 2010 sur le Pianocktail conçu par Benoît Poulain d’après Boris Vian et dont joue… Sophia Domancich.

par Diane Gastellu // Publié le 31 décembre 2009

[1L’exposition reste au LULL jusqu’au 28 février 2010.