Bribes 4
The Sky is Crying
Geoffroy Gesser (cl, ts), Linda Oláh (voc), Romain Clerc-Renaud (cla), Yann Joussein (dm).
Label / Distribution : Coax Records
On attendait depuis longtemps The Sky Is Crying, le nouveau disque de Bribes 4, l’orchestre du multianchiste Geoffroy Gesser. D’abord parce qu’il nous en avait parlé lors de son interview, mais parce que le sujet comme l’interprétation s’annonçaient excitants : une lecture du répertoire de trois totems féminins du jazz et du blues africain-américain, Ma Rainey, Bessie Smith et Billie Holiday par le musicien de Fluxous et de Un Poco Loco, chanté par l’incandescente Linda Oláh. Une vision percluse d’électronique fébrile et de rythmiques striées de pop par un Yann Joussein très créatif. C’est le sujet de « Josie 2 » que le claviériste Romain Clerc-Renaud a fait naître du « Oh My Babe Blues » de Ma Rainey avec une verve insolemment moderne [1]. On retrouve également ce paradigme sur « He Got Me Goin’ » de Bessie Smith, la voix brûlante d’Oláh transportant le blues dans les eaux glacées d’une nouvelle vague prête à bouillonner.
Tout a commencé pour Gesser par la lecture du Blues & féminisme noir d’Angela Davis [2] qui lui a donné l’envie de revisiter ce patrimoine et les trois figures mis en avant par Davis. Ces trois femmes qui incarnent le mieux la phrase de l’autrice : « Le blues des femmes met rarement en scène des épouses et presque jamais des mères », comme autant de remises en cause d’un patriarcat ancré. La femme libre, poursuivie pour cela : c’est le thème du « Chain Gang Blues » de Ma Rainey, où les claviers consument la voix lointaine de Linda Oláh ; c’est le saxophone de Gesser qui incarne ici une colère puissante. Plus loin, c’est la chanteuse, avec une interprétation attendue de « Stange Fruit ». Entre deux, Bribes 4 nous aura pris à revers en habitant le « Gloomy Sunday » du hongrois Resző Seress dans sa version française, rendue célèbre par une autre femme forte, Damia, moins blues cependant.
On pourrait se dire qu’il y a des choses auxquelles on ne touche pas. Mais déconstruire, c’est aussi s’attaquer aux Everest : le travail tout en souffle et en slaps de Gesser, et l’agitation nécessaire de Joussein offrent l’occasion à la chanteuse de proposer une lecture froide comme une colère et intense comme une lutte. L’esprit est là, bien présent et fait briller la flamme de ces femmes dans un disque très court. Une expérience puissante qui souligne avant tout la capacité de Linda Oláh à développer son univers en toutes circonstances et celle de Geoffroy Gesser à transcender le patrimoine pour en rappeler l’intemporalité.