Chronique

Albert Marcoeur

Si oui, oui, sinon, non

Albert Marcoeur (voc, perc) + Quatuor Béla

Label / Distribution : Label Frère

Cher monsieur Albert Marcoeur,
Dis, ça faisait longtemps que tu avais sorti un disque ! Dix ans presque, c’est qu’on se fait pas tout jeune nous autres, et puis ça manquait. Oh, pas qu’on était en reste, hein, des beaux disques il y en a, et puis des chouettes encore, avec des musiciens qui font de la musique, et puis des chanteurs qui chantent, des fois. Mais des Albert Marcoeur, jamais, depuis tout ce temps, à croire que tu es unique, ou quelque chose comme ça. Évidemment, depuis Travaux Pratiques ou tu avais invité Le Quatuor Béla, on a réécouté tes disques. Souvent, même, parce qu’une poésie comme ça, qui part de rien et qui nous emmène dans une petite musique de syllabes et de temps qui passe, on n’en connaît guère d’autre, à part Georges Pérec, mais il paraît qu’il chantait mal, alors il chantait pas. Il écrivait, faut dire, c’est que ça prend du temps ces trucs-là. Alors on se passait L’Album à colorier qui parlait « Nécessaire à Chaussure ». C’était chouette.

On avait eu l’occasion de patienter, avec les illustrateurs de la Chaux-de-Fond, Plonk & Replonk qui avaient sorti un magnifique Mais Monsieur Marcoeur…, mais faut dire que ça chantait pas beaucoup, ton histoire de SACEM. Ils sont fidèles, ceux-là, ils ont même fait la pochette de Si oui, oui, sinon, non, où tu retrouves le Quatuor Béla. Tout seul, en plus avec des arrangements formidables, notamment quand tu racontes être allé au Havre voir « L’éclipse ». C’est rigolo, celle-là, tu aurais pu la mettre dans ton disque L’Apostrophe, mais tu as attendu tout ce temps. Faut dire, ça valait le coup, parce que le travail du violoncelliste là, Luc Debreuil et de l’alto Julian Boutin, c’est pas de la roupie de sansonnet.

Comment tu fais, monsieur Marcoeur ? Même quand tu parles de « Valise à roulette », avec cette imitation du roulis saccadé qui rappelle que tu es aussi un rythmicien hors-pair, tu arrives à nous faire rêver. Pourtant, il n’y a rien de plus fâcheux qu’une valise à deux roues, qu’on tire. Mais toi tu arrives à en faire une histoire incroyable. C’est lunaire, détaché, fin comme il faut, les mots s’harmonisent aux violons de Frédéric Aurier et Julien Dieudegard, ta voix semble flotter par dessus comme un alcool qui se dissipe… Et puis tu nous prends par surprise, avec « Les deux petits vieux », un texte plein d’émotion, mais sans tirer les mouchoirs, tu vois. Un truc comme ça, qui permet de se souvenir (verbe pronominal) que tu es l’un des plus grands et que ce disque, c’est quand même autre chose qu’un velouté d’asperge. Si oui, oui, sinon, non ? Ben, oui, alors. Forcément.