Scènes

Carte blanche à Pierre Durand sur la péniche l’Improviste (4)

Regarde d’où tu viens pour savoir où tu vas… Un adage adapté au quatrième concert que Pierre Durand a donné sur la péniche l’Improviste dans le cadre de sa carte blanche, puisqu’il y a revisité, accompagné de Patrick Laroche à la contrebasse et Esteban Pinto Gondim au saxophone alto, une poignée de standards, mettant ainsi en avant une autre facette de son disque « Chapter One : NOLA Improvisations. »


Regarde d’où tu viens pour savoir où tu vas… Un adage adapté au quatrième concert que Pierre Durand a donné sur la péniche l’Improviste dans le cadre de sa carte blanche, puisqu’il y a revisité, accompagné de Patrick Laroche à la contrebasse et Esteban Pinto Gondim au saxophone alto, une poignée de standards, mettant ainsi en avant une autre facette de son disque « Chapter One : NOLA Improvisations », enregistré à la Nouvelle Orléans

Pierre Durand © Christian Taillemite

C’est par un froid polaire qu’on embarque ce 22 février sur l’Improviste pour écouter Pierre Durand. Ce sont tout d’abord trois titres en solo - ou presque, puisque sur chacun d’entre eux le guitariste s’auto-accompagne de boucles enregistrées dans l’instant à l’aide de son looper. Cela lui permet d’élaborer une de ces rêveries dont il a le secret, d’effectuer un remarquable travail harmonique lorsqu’il mélange les notes produites par un e-bow, ou de délivrer une version énergique de « Who The Damn Is John Scofield ? ». Puis ses invités du soir le rejoignent. S’ils ne comptent pas parmi les musiciens dont on entend fréquemment parler, Esteban Pinto Gondim et Patrick Laroche combinent, par un jeu très libre mais respectueux de la tradition, de belles qualités mélodiques et rythmiques.

Il s’agit cette fois de revisiter des morceaux qui peuvent être considérés comme des standards, ou qui le sont aux yeux de Pierre Durand. Pour ce faire, ce dernier a opté pour un trio sans batterie, formule sans filet qui astreint les musiciens à une rigueur de tous les instants. La musique est, de fait, très aérienne, et la fragilité que cela sous-tend ne fait qu’embellir les moments où le trio se cherche un peu puis se trouve. Quand la musique sort des partitions pour prendre possession de ceux qui la jouent, on assiste à de très beaux échanges lyriques et sensibles, d’autant plus précieux qu’on entend le travail fourni par chacun pour absorber le discours en construction, apporter de belles idées et les mettre en valeur tout en servant la composition. Un exercice qui ne souffre pas l’ approximation. Heureusement, les lignes mouvantes de Patrick Laroche sont un pilier solide où viennent s’ancrer la guitare aventureuse de Pierre Durand et les phrases superbes d’Esteban Pinto Gondim, dont il faut souligner le son ample et chaleureux. Guitariste et saxophoniste jouent les thèmes à l’unisson et se partagent la majorité des solos, improvisant parfois ensemble des lignes mélodiques qui se croisent élégamment.

Esteban Pinto Gondim © Christian Taillemite

Le répertoire choisi (des standards, mais aussi des compositions de Durand), n’est pas des plus simples. De plus, Pierre Durand a repensé les morceaux pour les attirer dans son propre univers, que l’on sait très personnel. Ainsi la reprise du « Boogie Stop Shuffle » de Charles Mingus commence-t-elle par des accords sanguins et saturés qui cèdent peu à peu la place à une texture relativement dépouillée, laquelle accueille à son tour le thème ciselé par le contrebassiste. Plus tard, le magnifique « Very Early » de Bill Evans, réinterprété à quatre temps, fait naître dans l’interaction des trésors de sensibilité. Le « Cyclic Episode » de Sam Rivers est une autre belle occasion, pour ce trio, de taquiner la musique de ses aînés avec un délicieux mélange de révérence et de fantaisie.

Un traitement similaire est réservé aux compositions. La mélodie nostalgique d’« Au bord » se dépose sur un accompagnement entièrement repensé par rapport au disque, où il est assuré par trois chanteurs de La Nouvelle-Orléans (Nicholas Payton, John Boutte et Cornell Williams) ; on discerne ainsi la superposition des strates d’écriture puisque le thème, identique, est présenté dans un nouvel écrin. Plus loin nous est proposé - un peu en « trompe-l’oreille » - « All Of Them », qui a le charme des grands standards… sans en être encore un puisqu’on le doit à ce guitariste qui, non content de s’engager dans un passage ouvert à tous les vents, se paie le luxe de tutoyer sur leurs propres terres les grands jazzmen auxquels il le dédicace.

Pierre Durand sait donc d’où il vient. Sans doute sait-il également où il va. On en a une petite idée aussi, mais on continuera à venir l’écouter, pour en avoir le cœur net et parce que chaque fois on en ressort enchanté. Rendez-vous donc le 22 mars 2013 au même endroit pour une soirée au cours de laquelle le Roots Quartet de Pierre Durand reviendra sur tous les thèmes abordés durant les quatre premiers concerts. On en a d’ores et déjà l’eau à la bouche.