Chronique

Mauro Gargano

Mo’Avast

Stéphane Mercier (as), Francesco Bearzatti (ts, cl), Mauro Gargano (b), Fabrice Moreau (dms), Bruno Angelini (p)

Label / Distribution : Note Sonanti

Il y a des signes qui ne trompent pas. L’élégance du phrasé, le son chaud et boisé, la rigueur rythmique, la faculté de créer des climats.
Il y a un moment que nous suivons avec intérêt les pérégrinations de Mauro Gargano, jusqu’ici accompagnateur de talent maintes fois vu aux côtés d’artistes qui, eux non plus, ne se trompent pas.

C’est en 2009 qu’il décide de réunir en studio quelques-uns des musiciens les plus excitants du moment pour franchir une nouvelle étape et enregistrer son premier album en leader. Après deux années et quelques tribulations, l’album est enfin disponible. Il dévoile enfin neuf compositions et deux reprises magnifiques.

Beauté simple des thèmes, intelligence des arrangements, fluidité des échanges, musicalité des solistes… On a beau se focaliser sur un instrument ou une cellule (section rythmique, soufflants), c’est toujours le son global du groupe qui s’impose, souple et robuste, dans un équilibre parfait. En bon meneur d’hommes, le contrebassiste distribue les rôles tout en assurant une assise inébranlable. Cela qui permet notamment à Fabrice Moreau de laisser libre court à son insaisissable drumming d’un minimalisme calculé, qui sait se muer quand il le faut à une énergie puissante. Constamment sur un fil, protéiforme, ce dernier joue avec le rythme, allant jusqu’à le sacrifier au silence pour mieux le rattraper et le porter via une frappe puissante au rendu éminemment coloriste. Tout ce qui concourt à faire de Stéphane Moreau un batteur unique est ici mis en exergue par le répertoire : sa façon de faire sonner sa batterie de mille et une manières, de considérer cymbales, toms et caisse claire comme des éléments susceptibles de s’inscrire au sein d’une même phrase, son art détaché de ponctuer le discours des autres musiciens plus que le tempo proprement dit… Imprévisible et unique, sa pulsation paraît danser comme un feu follet autour des solides lignes de basse.

Mauro Gargano démontre, lui aussi, un rapport à l’espace intéressant. Il peut, selon le morceau et la densité qu’il souhaite lui donner, occuper toute la place (cf ses parties pleines sur « Bass ’A’ Line » ou « Apulia ») ou au contraire se contenter de motifs aérés (le riff lancinant et les accords flottants de « 1903 », sur lequel il exécute un solo à l’archet émouvant et d’une grande beauté. Soit une section rythmique sublime dans l’équilibre entre pulsation et narration.

C’est avec assurance et générosité que Stéphane Mercier et Francesco Bearzatti propulsent le quartet dans les hautes sphères de l’improvisation cadrée en exploitant la matière mélodique que l’on doit à l’écriture très ouverte des thèmes. Phrasé nerveux, parfait contrôle des timbres… Mercier, peut-être le membre le moins connu du groupe en France (puisse ce disque réparer cette injustice), est du genre à faire parler la poudre. Il extirpe de son sax alto de longues phrases (jolie sonorité mate) qui font sens, joue « dedans » et fait sonner ses notes, contrairement à ce garnement de Bearzatti ! Aussi génial que désobéissant celui-ci joue beaucoup « dehors » mais sait aussi faire preuve de sensibilité (« Ostersund », « Respiro Del Passato »). Il n’empêche que sa tendance naturelle est de partir loin et vite. Jamais où on l’attend, il réussit à « salir » la musique sans jamais en altérer la musicalité. L’un et l’autre n’ont nullement besoin de gommer leurs traits (marqués) pour trouver un terrain d’entente. Ils nous rappellent ici que l’adaptation à l’autre se fait par l’écoute, l’acceptation et l’échange, et non par une érosion des spécificités de chacun. Ainsi la fraîcheur, l’envie et la folie se marient-elles à la cohérence et l’unité dans un dialogue ébouriffant et jouissif.

Sur deux titres, Bruno Angelini se joint à l’équipe en apportant son sens aigu des couleurs harmoniques. Empreint de lyrisme et délicatement accidenté, son jeu où se fondent accompagnements, solos et contre-chants, s’inscrit logiquement dans l’esthétique du groupe, dont il connaît bien les membres. tant sur un « Mars » assez lunaire qui ménage une large place à son piano rêveur, que sur un « Apulia » plus ensoleillé à l’appétissant parfum d’Italie, il contribue à la richesse globale du disque.

On sent instinctivement que certains albums nous accompagneront longtemps. Mo’Avast, source de plaisir qui semble ne jamais vouloir se tarir, en fait indubitablement partie. On y revient avec un enthousiasme intact goûter la musicalité conjuguée de cinq artistes qui savent, entre eux et avec nous, placer la musique sous le signe du partage.

par Olivier Acosta // Publié le 16 janvier 2012
P.-S. :

Le disque n’étant toujours pas distribué en France à l’heure où ces lignes sont écrites, vous pourrez vous le procurer sur le site de Mauro Gargano.