Chronique

Romain Cuoq et Anthony Jambon quintet

Awake

Romain Cuoq (ts), Emile Parisien (ss), Anthony Jambon (g), Florent Nisse (b), Nicolas Charlier (dms)

Label / Distribution : Cristal Records

Avec ce premier album, Romain Cuoq et Anthony Jambon donnent une vision très claire de la direction musicale empruntée par leur quintet. Celui-ci est en devenir, puisqu’il est en résidence au Baiser Salé à Paris, où il se produit le premier mercredi du mois dans une version différente : Emile Parisien y a laissé sa place au pianiste Leonardo Montana. Une suite qui s’annonce passionnante.

Awake (« éveillé », en français), qui comprend deux saxophones (Cuoq au ténor et Parisien au soprano), a été mis en forme avec soin, et les parties imaginées pour conduire le récit ainsi que la répartition des rôles font que les situations de jeu se multiplient sans redondance. Le son est riche de timbres, d’harmonies et de ponctuations rythmiques. L’écueil du « trop plein » est cependant évité, et c’est avec une certaine sérénité, en prenant le temps de proposer des passages plus intimistes, épurés, que le groupe raconte ses histoires. Mais l’énergie s’accumule au fil des prises de parole, les accompagnateurs forcent leurs traits et la musique, marquée par un lyrisme positif, entre en ébullition.

Les compositions, toutes originales, se prêtent bien à ce type de développement. Les thèmes s’insèrent dans des structures intelligemment scénarisées, comme sur « Wedding Day », sur lequel se succèdent plusieurs épisodes propices à l’afflux d’images, et où Leïla Martial (également présente sur « I See », la rêverie de clôture du disque), chante une belle phrase-thème unique - la redoubler en aurait terni l’éclat… Les choix d’arrangements mettent en valeur les solistes et leur discours vecteur d’émotion. De cet point de vue, Awake est aussi un « disque à solos ». Les musiciens ont de multiples occasions de s’exprimer longuement. Si les qualités d’expression sont nombreuses chez tous ces jeunes musiciens talentueux, il convient de souligner leur sens du collectif. Tous les éléments s’imbriquent avec une logique implacable : le soliste sert la composition, le groupe sert le soliste, et chacun « sort des solos » avec une énergie inédite, elle-même répercutée sur l’interprétation des thèmes. Soit un phénomène de montée en tension qui régit souvent l’interaction et la forme globale des compositions. Les temps calmes sont autant de respirations, mais aussi de prises d’élan. L’efficacité et la musicalité du tandem Florent Nisse / Nicolas Charlier n’y sont pas étrangères. L’implication des deux co-leaders dans les aspects structurels de la musique non plus : à de multiples reprises Cuoq nourrit l’intention collective par des riffs discrets qui œuvrent dans l’ombre des solistes et Jambon corrèle avec à-propos ses fonctions d’accompagnement et d’ornement. Quand à Emile Parisien, il est une fois de plus l’artisan d’envolées impressionnantes par la précision du geste et la profondeur du sens.