Scènes

Charles Lloyd Quartet au Pannonica

Après Dubai, Mumbai et avant Istanbul, c’est à Nantes que le saxophoniste américain vient nous faire l’honneur de partager, dans le cadre d’une tournée en quartet, sa musique empreinte de mysticisme.


Après Dubai, Mumbai et avant Istanbul, c’est à Nantes que le saxophoniste américain vient nous faire l’honneur de partager, dans le cadre d’une tournée en quartet, sa musique empreinte de mysticisme.

Sept mois presque jour pour jour après les Rendez vous de l’Erdre, dont Charles Lloyd était une des têtes d’affiche, le printemps 2009 nous amène avec plus de fougue et de jeunesse encore cette lumineuse formation.

L’ancien compagnon de Zakir Hussain (Sangam), toujours fidèlement accompagné par Eric Harland à la batterie et aux percussions, s’entoure de deux jeunes et très talentueux musiciens : le pianiste virtuose Jason Moran et le tout aussi remarquable Reuben Reugers (b), avec lesquels il a enregistré son dernier opus live à Bâle en 2007, Rabo de Nube. C’est en partie cet album qu’il joue ce soir dans la grande salle du Pannonica, outre des compositions de Jumping the Creek (2005). Le concert est complet et le public impatient, heureux déjà, espérant des instants inoubliables, prêt à partir aux côtés du maestro pour un envoûtant voyage…

Le batteur est le premier à entrer en scène ; donnant tranquillement l’impulsion aux autres membres du quartet, il est rejoint par un saxophone que l’on ressent lointain : le charme du leader - grandes épaules légèrement voûtées, chemise verte et veste sombre, béret et lunettes noires – nous coupe le souffle un instant. Charles Lloyd est là, diffusant une énergie solennelle dans la salle. Sur scène, le climat est retenu, attentif. Très tôt le piano se libère dans un excellent solo tandis que Lloyd consulte ses partitions. Au saxophone, de longues notes étirées sonnent l’heure d’un certain éveil… au monde, musical et spirituel. Le public est captivé, même si les réactions tardent. Troisième morceau, le sax est déchaîné, impressionnant, et la connivence amusée des musiciens contagieuse.

Les parties en trio (piano, contrebasse et batterie) sont étourdissantes, véritables discussions enflammées, piano percussif, contrebasse résistante face au tourbillon du propos. Le retour du maître s’opère dans une clarté évidente, une limpidité apaisante et magique : on ne pense qu’à cet instant, à son ampleur, son sens — cet instant qui recueille la tension précédente pour mieux se révéler avec finesse, douceur, esquisse de sons. On est en apesanteur, emporté par la matière instrumentale.

Charles Lloyd maîtrise l’exotisme avec raffinement, et s’il s’abstient ce soir de jouer du tarogato, cet instrument coloré dont il use parfois (et qui est pourtant présent sur scène), il explore les territoires de la flûte alto de manière magistrale, à la fois orientale et funk, toujours cérémonieuse. Sur « Booker’s Garden », hommage à son ami Booker Little, elle est magnifique de sérénité. La contrebasse solo nous rappelle à la réalité et replace l’intrigue face au vent des sommets atteints. Elle est tout naturellement emmenée sur des rythmes latins plus classiques, avec soutien des congas d’Eric Harland, la flûte en aigus et vibratos de Lloyd qui, de manière un peu anecdotique, quitte la flûte pour se mettre aux maracas dans les oreilles du batteur. Agaçant ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, Moran en profite pour se défouler, et Harland pour enchaîner avec un beau solo de batterie libéré des sons parasites. Le retour du saxophone est suave et sensuel ; l’histoire redevient entraînante, les notes à la fois précieuses et farouches.

En rappel, « Rabo de Nube », ballade sensuelle qui donne son titre au dernier album de Lloyd, avec une petite introduction du maestro précisant que cette composition du cubain Silvio Rodrigues est censée vous arracher des larmes de tristesse ou de mélancolie, états que nous traversons tous et qui sont connus pour faire beaucoup de bien. L’effet d’annonce gâche tout, aucune larme ne glissera sur mes joues…

Si Lloyd vient de fêter ses 71 ans et doit parfois s’asseoir pour récupérer, il peut revendiquer une énergie incomparable, qu’il tient certainement de la « mission » qu’il s’est donnée : continuer à jouer une musique métissée, expression la plus parfaite et la plus puissante des profondeurs de l’esprit. Les « Thank you » chaleureux et émus lancés en fin de concert achèvent de démontrer qu’il détient un étrange et réel pouvoir de « medicine man »…

En première partie, le Pannonica présentait le jeune trio (Un)sung, (Guillaume Hazebrouck au Wurlitzer, Pierre-Yves Mérel au sax ténor et flûte, Will Guthrie à la batterie). Univers cinématographique, citadin, suite de parcours où l’on peut imaginer un personnage en errance dans un climat tantôt délirant, tantôt teinté de naïveté ou de douce sérénité, les yeux grands ouverts sur un désir de découverte. « A 10 », « Tango » ou « Hommage à Calder », chaque morceau raconte une histoire captivante. Le Wurlitzer donne à l’ensemble une couleur un peu rocailleuse, sans âge, métallique et pourtant soyeuse qui reflète bien l’esprit de ce groupe décontracté.

par Laure Devisme // Publié le 4 mai 2009
P.-S. :

Charles Lloyd : Rabo de Nube, 2008, ECM