Chronique

Charles Lloyd Quartet

Mirror

Charles Lloyd (as, ts, voc), Jason Moran (p), Reuben Rogers (b), Eric Harland (dm, voc)

Label / Distribution : ECM

Ceux qui, comme moi, ont eu le privilège de voir et d’entendre Charles Lloyd en quartet avec Jarrett / McBee / DeJohnette à Antibes-Juan-les-Pins en 1966 suivent avec (plus ou moins de) délectation la carrière de ce musicien depuis lors (sa première signature : Forest Flowers). Ceux-là, comme moi, ont regretté sa disparition de la scène musicale suite à un deuil familial, et peu apprécié par la suite ses prestations éloignées du jazz (recherches spiritualistes, voire mystiques). Les mêmes, comme moi, se sont réjouis de sa résurgence grâce à Michel Petrucciani, puis attristés d’une nouvelle interruption due à la maladie. Les amateurs de jazz ont salué son retour à la fin des années 1980 et son entrée chez ECM en 1989 avec un premier album Fish Out Of Water suivi de plusieurs autres, notamment à partir de 1998 avec le batteur de légende Billy Higgins (dans leur duo Which Way Is East, Lloyd montre alors son intérêt pour les instruments dits « ethniques »). Après la disparition de Higgins, il constitue un nouveau quartet où Reuben Rodgers et Eric Harland seront constamment présents, Jason Moran étant le dernier pianiste en date.

Ceux qui, comme moi et beaucoup d’autres, ont eu l’occasion d’écouter son avant-dernier album, Rabo De Nube, enregistré live à Bâle en 2007, et surtout de voir et entendre au Nice Jazz Festival 2009 le même groupe enthousiasmer le public, seront ravis de retrouver ces musiciens sur ce nouveau disque, enregistré pour la première fois en studio (décembre 2009). On peut affirmer sans se tromper que ce quartet est un des meilleurs depuis le tout premier. Ce « Miroir » qu’il nous tend et se (nous) renvoie est comme un reflet de son portrait de musicien et de son univers musical varié où s’étendent et s’entremêlent gospel et chants traditionnels, standards, références/révérences à Monk (« Monk’s Mood », « Ruby My Dear »), compositions personnelles et chanson (« Caroline, No » signée Brian Wilson, des Beach Boys, groupe auquel il s’incorpora un temps).

Pour cela, point d’instruments divers - rien que le saxophone, alto et ténor. Sonorité toujours rêveuse, à la limite de la fragilité (à l’alto), en suspens ou précative, au vibrato moins ample qu’à ses débuts, elle ajoute au charme des circonvolutions sans convulsions de son discours, cette impression diffuse d’enroulements / déboulements / envoûtements ou de notes délicatement triturées dans l’attaque des phrases, suivies de remous et soubresauts (« Lift Every Voice And Sing »). Une musique de vieux sage (Lloyd est né en 1938) sachant s’entourer de jeunes comparses au talent reconnu, Jason Moran étant cependant plus réservé, plus en retrait que sur ses propres disques ou en « live ».

Il se dégage de ce nouveau témoignage d’un maître incontesté une aura de douceur, de quiétude, de béatitude, de poésie, de paix intérieure, ce qui change radicalement des bruits et fureurs qui envahissent nos oreilles et malmènent nos esprits.
Indispensable pour ceux qui ont aimé Jasmine et Lost In A Dream.