Entretien

Christophe Monniot

Entretien au pied du mur : Jericho Sinfonia

Photo Gérard Boisnel

Récemment sorti sur le label Ayler Records, Jericho Sinfonia est signée par Christophe Monniot. Depuis de nombreuses années, le saxophoniste aime mêler le sens du texte à celui des sons. Interprété par un Grand Orchestre du Tricot et ses treize musiciens au meilleur de leur forme, cette dimension n’avait jamais autant pris de pertinence que sur cette pièce d’importance qui traite de l’effondrement de la muraille de Jéricho. Avant que tout ne soit à terre, il était urgent de poser quelques questions à ce démiurge sonique.

À quand remonte ce projet et combien de temps avez-vous mis pour l’écrire ?

L’idée de ce projet remonte à 2006, année où j’ai arrêté les Musiques à Ouïr pour me consacrer à la sortie de Vivaldi Universel, les quatre saisons à l’ère du changement climatique, mon premier travail en profondeur d’interaction entre texte et musique, réalisé avec Sylvie Gasteau. C’est une année où j’ai été longtemps immobilisé par des problèmes de dos. Sans armes, je pouvais juste imaginer et concevoir de la musique. Ce qui m’a fait m’identifier au peuple hébreu face à la muraille de Jéricho. Vu l’importance pour moi de ce sujet qui est une grande source d’inspiration et d’espoir pour un musicien, j’ai pris plusieurs années pour l’écrire, entre d’autres projets.

Depuis Vivaldi Universel, vous aimez mélanger des voix humaines enregistrées avec les sons. Qu’est ce qui vous intéresse dans cette juxtaposition ?

Le sens, la citoyenneté, la poésie, raconter une histoire, Pierre et le Loup, L’Histoire du soldat

Les parties enregistrées ont été sélectionnées et mises en forme de manière très convaincante par Sylvie Gasteau. Pourriez-vous nous la présenter et nous dire comme s’est déroulée votre collaboration sur Jericho Sinfonia ?

Sylvie Gasteau est une merveilleuse « sonographe ». Elle recueille et met en espace ou en scène de la mémoire, de la pensée, de la poésie, que ce soit sous forme parlée ou sous forme sonore. Elle est allée chercher seule les sons du désert dans Jericho Sinfonia. Nous avons également travaillé à deux comme dans les interviews de Bernard Vaisbrot, le spécialiste de la Torah, ou Louis Moutin qui explique la résonance et l’entropie. On nous entend d’ailleurs ponctuer les paroles de temps en temps. Pour la mise en scène du livret, je l’ai laissée totalement libre et, en retour, elle me laissait libre dans la composition de la musique. Nous avons donc travaillé chacun de notre côté, puis nous nous sommes réunis de nouveau pour élaborer ensemble la forme finale.

Une folle épreuve de foi pour le peuple que de croire que lâcher les armes en temps de guerre pour jouer de la musique allait conduire à la victoire

Cela fait presque vingt ans que nous travaillons ensemble. Avec bonheur ! Nous avons en commun cet amour du sens dans ce que doit exprimer une œuvre d’art. Elle travaille par ailleurs pour France Culture depuis des lustres. Pour l’émission d’Irène Omélianenko L’Atelier de la création, par exemple. C’est notamment pour cette émission qu’elle a réalisé Les Variations Martin Luther King around the dream, dont j’ai composé la musique originale et qui a obtenu la médaille de bronze au festival World’s Best Radio Programs à New York en 2015.

Christophe Monniot, photo Laurent Poiget

La dimension spirituelle confrontée à une dimension scientifique et politique fait de Jericho Sinfonia une œuvre tout à la fois poétique et engagée. Y a-t-il le désir de votre part de délivrer un message comme c’était déjà le cas sur Vivaldi Universel ?

Oui, sans doute. Les paroles des scientifiques démontrent la faisabilité de l’écroulement d’une muraille par émission, vibration et résonance. Il fallait, cependant, penser cela possible (ce que Dieu, selon le texte biblique, a réalisé pour le peuple hébreu ) et c’était, de surcroît, une folle épreuve de foi pour le peuple que de croire que lâcher les armes en temps de guerre pour jouer de la musique allait conduire à la victoire. Une foi divine, bien sûr, mais également une foi en la musique, en l’art, en la fraternité, en l’amour.

Jericho Sinfonia n’est pourtant pas uniquement une œuvre à thèse, la musique est épique et enthousiaste. Fallait-il que ce projet soit aussi une grande pièce musicale ?

Grande, je ne sais pas, mais ce qui est sûr, c’est que j’y ai passé beaucoup de temps. Bien plus que pour Vivaldi Universel par exemple. Je crois que c’est la même chose pour Sylvie, qui a enregistré aussi bien des paroles de chercheurs parisiens, des lithophones d’Asie, que le son du désert en Judée…

La partition divisée en dix mouvements est faite d’échos et de rappels de l’un à l’autre et constitue de ce fait une vraie symphonie, voire un opéra de poche. De quels compositeurs vous êtes-vous inspiré pour la composition ?

Dans la chronologie de la conception, j’ai d’abord commencé par écrire le dernier mouvement Dans Cité qui se situe après l’écroulement de la muraille comme une conclusion heureuse. Il est lui même composé de plusieurs mouvements et chacun d’eux a été développé ultérieurement pour devenir les différents mouvements de l’œuvre en elle même. Donc ce qui vient avant a été écrit après…

Au niveau des inspirations, il y a beaucoup Bartók qui mêle si magnifiquement culture populaire et savante avec notamment l’usage compositionnel du nombre d’or. Il est d’ailleurs présent dans l’œuvre, avec une citation de la Musique pour cordes, percussion et célesta. Le Dies Irae de Penderecki pour les victimes d’Auschwitz y est également présent. De même que John Coltrane, naturellement, dirais-je…

La place des trompettes (évidemment !) et celle des cloches souligne d’autant mieux le propos. Comment avez-vous défini votre palette sonore ?

Tout s’articule autour des vents (cuivres et anches) et des percussions bien sûr. Les cloches sont utilisées comme des percussions qui chantent, au même titre que le désert qui chante dans l’œuvre. Elles apparaissent à trois moments clés : l’ouverture (le désespoir), le virage où s’atténue, pour disparaître, la frontière entre le rationnel et l’irrationnel et enfin la conclusion (l’espoir).

Christophe Monniot, photo Laurent Poiget

L’orchestre est impressionnant d’homogénéité et d’efficacité ; comment s’est fait le rapprochement avec l’Orchestre du Tricot ?
On s’était rencontré dans le cadre de Kimono avec Roberto Negro et Adrien Chennebault du Tricollectif (Musique de chambre avec basse électriqueKimono chez O’Jazz). J’ai parlé de Jericho Sinfonia à ce dernier et cela a résonné en lui. C’est en partie grâce à lui que le projet et l’album ont pu voir le jour.

Malgré le tragique du sujet et cette musique puissante, on perçoit une certaine forme d’humour qui n’est pas du cynisme mais une respiration et qu’on retrouve également dans votre manière d’être sur scène. C’est important pour un saxophoniste de reprendre son souffle et avoir un peu de distanciation ?

Oui, ça permet d’éviter de se prendre trop au sérieux et évite le « tout à l’ego », comme l’a écrit Daniel Pennac. Ça permet aussi d’élargir de manière plus collective sa vision de la musique.

Et maintenant ? Pouvez-vous nous présenter vos projets en cours ou à venir ?

Tout d’abord, je suis très investi dans la préparation de l’album de mon duo avec le magnifique accordéoniste Didier Ithursarry sur ONJ Records. Il y aura des concerts cet été à Uzeste le 18 août, Cluny le 24 août en avant-première, puis la sortie officielle le 19 octobre prochain puis une autre série de concerts. Ensuite, - et là, je vous livre un scoop (pour ce que ça vaut), j’ai l’envie de constituer un nouveau quartet avec le guitariste brésilien Nelson Veras, le bassiste Dominique Di Piazza et le percussionniste iranien Naghib Shanbehzadeh, le Monniot Migrant Quartet ! Dernier point, et ça devrait être le premier, c’est un besoin plus qu’un projet : trouver un agent notamment pour ces deux projets et Jericho Sinfonia.