Chronique

Ckraft

Uncommon Grounds

Charles Kieny (acc, comp), Théo Nguyen Duc Long (ts), Antoine Morisot (elg), Marc Karapetian (elb), William Bur (d).

Label / Distribution : CKRAFTPROD / Inouïe Distribution

Les séismes ont la plupart du temps une réplique, généralement de moindre ampleur. Ce ne semble pas être le cas de la musique de CKraft avec la parution de son deuxième disque, Uncommon Grounds. Ce nouveau « coup de poing » s’apparente à une démonstration de force plus directe encore que celle déjà affirmée par Epic Discordant Vision en 2022. Emmené par l’accordéoniste compositeur Charles Kieny, ce quintet ambassadeur d’un « jazz metal » de l’inouï continue de puiser à la source de mélodies grégoriennes venues du Moyen-Âge qu’il transfigure à grand renfort de riffs assénés par un trio surpuissant (Antoine Morisot à la guitare, Marc Karapetian à la basse et William Bur à la batterie) et d’échappées plus aériennes imaginées par le saxophone de Théo Nguyen Duc Long et l’accordéon augmenté du leader. Le cocktail est détonant, c’est le moins qu’on puisse dire. Il suffit d’écouter « All You Can Kill », en ouverture du disque, qui puise son inspiration dans « Dies Iræ » et ses visions apocalyptiques, pour comprendre de quoi il retourne.

Si les musiciens de CKraft proviennent d’horizons différents – entre rock, jazz et musique classique – ils parlent cependant le même langage. Celui-ci est l’expression d’un désir commun et profond de restituer au plus près l’énergie du live et d’aller droit au but, sans tricherie. Uncommon Grounds est à cet égard un véritable manifeste : il traduit avec acuité l’idée d’une diversité des origines qu’il s’agit d’assembler et de transcender par le truchement d’un langage savant et virtuose, marqué par l’urgence – Ckraft est adepte du passage en force – pour aboutir au modelage d’un idiome présenté comme artisanal et minimal. Les linguistes savoureront le glissement sémantique plutôt malicieux entre le mot anglais « craft » et le mot allemand « kraft ».

On reçoit cette musique en prise directe, telle qu’elle a été exécutée par ses cinq interprètes, sans ajout ni sampling ou programmation. Sont ici convoqués le caractère éternel de mélodies ancestrales, la démesure du rock, la liberté du jazz. Surtout, CKraft est une formation qui explore de nouveaux territoires et se situe dans un ailleurs qu’il qualifie volontiers lui-même de « no man’s land stylistique ». Le groupe se tient debout contre vents et marées, écrivant une histoire très singulière dont les prochaines aventures sont déjà dans la tête de ses musiciens. Savourons sans modération le plaisir d’en être partie prenante.