Tribune

Clark Terry (1920 - 2015)

Coup d’œil, et coup d’oreille, sur la carrière d’un trompettiste et bugliste à la sonorité malicieuse et enjouée.


Photo © M. Laborde

Trompettiste et joueur de bugle recherché par les meilleurs orchestres (Count Basie, Duke Ellington, Quincy Jones), Clark Terry a mené de front une carrière brillante comme leader et sideman. Sa sonorité rieuse, pleine d’un humour assumé aussi dans une façon de scatter originale (« Mumbles ») a ravi bien des audiences, et transfiguré de nombreuses sessions au fil des années.

Il incarnait - il incarne encore pour autant qu’on se réfère à ses nombreux disques - une sorte d’équilibre parfait dans sa façon de traiter le son d’une trompette, ou d’un bugle, dans le registre du jazz : pas trop de vibrato, mais la présence quand même de ce rayonnement qui fait la marque de la vie, un son plutôt ouaté sans être sombre (surtout au bugle), un phrasé mobile sans excès, une virtuosité présente qui ne s’affiche pas comme telle, et par-dessus tout une manière unique de rendre présent le sourire dans la sonorité qui le fait reconnaître dès les premières mesures. Moins virevoltant que Gillespie mais plus animé que Miles, marqué par la façon dont un Rex Stewart triturait les pistons, il fut un moderne capable de s’intégrer à l’ancien comme au nouveau. Count Basie l’a engagé pour son octet en 1950, Duke Ellington en a fait l’un de des grands solistes dans les années 50, et les nombreux combos qu’il a animés ensuite ont toujours été de grande classe.

Je crois savoir que d’autres, qui ont connu Clark Terry de façon plus « intime », auront à cœur de rendre compte ici de la dimension humaine en même temps que musicale de la personne. Je me contenterai donc avec plaisir de signaler les disques qui me paraissent, à divers titres, exemplaires, dans la production de l’instrumentiste, chanteur et chef d’orchestre qui vient de nous quitter.

Et pour commencer le Clark Terry de 1955 chez Emarcy, pochette violette. Avec un All Stars dans lequel on trouve rien moins que Jimmy Cleveland (tb), Cecil Payne (bs), Horace Silver (p), Oscar Pettiford (b) et Art Blakey (dm) sur des arrangements de Quincy Jones. Rien à négliger dans ce disque, un des plus accomplis de ce début de carrière sous son nom. On choisira ensuite le disque paru sur le label Impulse, The Happy Horns Of Clark Terry, avec encore une fois une pléiade de solistes de haut vol, Phil Woods (as, cl), Ben Webster (ts), Roger Kellaway (p). « Do Nothing Till You Hear From Me » rappelle le temps de chez Duke, et contient une stupéfiante introduction par Ben Webster. Plus tard (en 1988) on sélectionnera Portraits, un disque de chez Chesky rassemblant des thèmes qui ont rendu célèbres des trompettistes comme Harry James (mais oui) ou Benny Berigan.

Clark Terry Photo © Michel Laborde

Le fameux In Orbit voit Clark Terry accompagné par Thelonious Monk (p), Sam Jones (b) and Philly Joe Jones (dm). C’est probablement le premier disque sur lequel il pratique le bugle comme instrument principal ; on y trouve des compositions originales ainsi qu’une pièce de Monk. On se tournera ensuite vers le Serenade To A Bus Seat, dédié aux longues journées passées dans un autobus lorsqu’il faisait partie d’un big band, avec Paul Chambers (b), Johnny Griffin (ts) et Wynton Kelly (p).

Deux musiciens à la fois « classiques » et « modernistes » comme Clark Terry et Coleman Hawkins ne pouvaient manquer de se rencontrer. La plus éclatante réussite de leur collaboration se trouve sur Back In A Bean’s Bag, signé Hawkins. On écoutera en particulier « A Tune For The Tutor », et un « Squeeze Me » sensationnel. De fait, on chercherait vainement, au fil des années et des sessions, un disque à déconseiller. Clark Terry laisse l’image d’un homme à la fois soucieux de la plus grande perfection possible et miraculeusement doué pour la vie et la musique.